Tel un pacte scellé entre un dragon et son maître, la série Drakengard est intimement liée à l'histoire de ce site. Car en y réfléchissant à deux fois, il s'agit du premier jeu que j'ai terminé à 100 % sur PlayStation 2, et, de fait, l'un des titres sur lequel j'ai passé le plus de temps, virant presque à l'obsession. Anecdote amusante, Drakengard est également le premier jeu à avoir fait l'objet d'un concours sur Final Fantasy Ring. C'est donc avec une excitation toute particulière que j'ai suivi l'annonce de cette troisième aventure. L'incertitude quant à sa sortie occidentale a quelque peu détourné le regard de son développement chaotique. Fallait-il se ruer sur l'édition collector – mais dématérialisée quand même – proposée in extremis en France ? Pas sûr.
Dark and Hard
S'il y a bien une qualité que l'on ne peut enlever à Takamasa Shiba et Taro Yoko, qui chez Cavia avaient donné naissance à la série, c'est leur capacité à imaginer des univers torturés et singuliers. Cette fois, les deux créateurs ont préalablement élaboré différents questionnaires adressés aux joueurs pour convenir d'un scénario et d'une ambiance au plus proche de leurs attentes. Une démarche de plus en plus automatique chez Square Enix, qui autrefois avançait tête baissée sans se soucier de son public. La réponse était claire : un univers aussi sombre que celui de NieR – le dernier jeu de Cavia, sorti en 2010 – et des inspirations médiévales européennes à la rencontre du design typiquement japonais de l'artiste Kimihiko Fujisaka. Le contrat est en partie réussi, dans la mesure où Drakengard 3 n’a rien à se reprocher dans son approche artistique et thématique. Ce prologue, qui peut être abordé sans même connaître Drakengard 1 et 2, met en scène Zero, l’une des six sœurs invoqueuses cantatrices qui ont par le passé sauvé le monde de la dévastation. Si Zero est une puissante magicienne, elle est avant toute chose une anti-héroïne, obsédée par l’idée de massacrer ses frangines, rage au ventre, épée à la main et insultes en bouche.
Toujours juste, le ton oscille entre violence gratuite et situations absurdes, parfois dans la même conversation, à quelques minutes d'intervalle. La relation entre Zero et son jeune dragon, Mikhail, en est le meilleur exemple. Ce duo est évidemment inspiré de Kainé et Weiss, qui offraient à NieR des séquences aux petits oignons. Entre les censures exagérées, les humiliations gratuites et les avalanches de blasphèmes, difficile de ne pas lâcher un sourire et de nier les qualités d'écriture du jeu, qui malgré quelques gags de mauvais goût sort définitivement des sentiers battus. Malgré les différentes dérivations, on regrettera la forme épisodique et prévisible de l'histoire, découpée et figuré à la manière d'un livre sacré. Comme on le devine dès l'introduction, chaque chapitre est consacré à la traque de l'une des sœur, qui attend généralement au bout du long corridor. À bien des égards, les précédents épisodes renfermaient davantage de rebondissements. Il faut véritablement attendre les fins alternatives – la dernière étant particulièrement difficile à débloquer – pour être surpris. À noter qu'une poignée de DLC (facturés 6 euros pièce) étoffent la psychologie bancale des personnages, tout comme le recueil distribué avec l'édition collector du jeu.
Zéro pointé
Officiellement, la sortie japonaise de Drakengard 3 fut repoussée pour « correspondre aux attentes des joueurs ». En réalité, il y a fort à parier que les développeurs d'Access Games ont eu bien du mal à dompter l’Unreal Engine 3 pour obtenir un rendu digne de la PlayStation 3 en fin de carrière. Ne prenons pas de pincettes : malgré ses 5 Go installés d'office sur le disque dur, cette préquelle est une catastrophe technique. Ses faibles prétentions graphiques ne sont pas le problème, NieR, encore lui, avait séduit sans miser sur la cosmétique. Le problème, c’est que cette fois, le framerate plus qu’hésitant et les caméras sous cocaïne, indomptables, rendent l'expérience de jeu insupportable, et ternissent dangereusement le gameplay. C'est d'autant plus incompréhensible que les textures dignes de la PlayStation 2 et les longs couloirs qui feraient presque passer Final Fantasy XIII pour un jeu open-world ne poussent absolument pas la console dans ses derniers retranchements. Les rares zones de liberté se résument à des arènes anguleuses, ternes et grossières, où les textures jouent à qui sera la plus en retard. Comment peut-on en arriver là ? Comment peut-on faire un tel retour en arrière, douloureux et gênant ?
La force de Drakengard, premier du nom, résidait dans ses grands environnements, certes un peu vides et brumeux, qui renfermaient des centaines de soldats à exterminer le plus rapidement possible. En fait, c'est même la force de tous les jeux du genre, tels que Dynasty Warriors, l'une des inspirations évidentes de la série. Angelus, monture de l'époque, se révélait très utile, à la fois lors des phases de combat au sol pendant lesquelles il pouvait faire usage de ses pouvoirs, mais aussi dans les airs, au cours des séquences de vol inspirées de Panzer Dragoon. Qu'il est triste de constater que le jeune mais néanmoins robuste Mikhail fait plus office de créature de seconde zone que de véritable compagnon d'aventure. Maladroit, un peu niais, mais heureusement assez amusant, il intervient parfois au premier plan pour de courts passages de shoot tout aussi indomptables, des boss par exemple. Difficile de s'enthousiasmer quand on imagine la bouffée d'air frais qu'auraient pu nous procurer les envolées à dos de dragon.
Bis repetita non plascent
Laissons de côté la technique quelques instants. Comme tout beat them all qui se respecte — bien que celui-ci ne se respecte pas toujours — le système de combat, sollicité à chaque seconde, est l'argument qui plus que les autres ne devait pas décevoir. Par chance, celui de Drakengard 3 est sur le papier et dans les faits relativement solide, dynamique et amusant. Les affrontements en temps réel reposent sur une mécanique assez classique de combos, mêlés à des changements d'arme à la volée, possibles même en plein milieu d'un enchaînement. Cette jouabilité vitaminée et accessible se complexifie avec l'introduction d'une jauge d'endurance qui entoure l'utilisation des attaques spéciales et des parades, à déclencher en suivant un timing exigeant. Les disciples pris en charge par l'IA sont tellement anecdotiques qu'il vous faudra de toute façon vite maîtriser toutes les subtilités du gameplay pour progresser sereinement. On peut par ailleurs procéder à des améliorations d'équipement complètes : les 51 armes à dénicher sont évolutives, jusqu'au niveau 4, où elle libèrent toute leur puissance d'attaque. Il tient donc au joueur de veiller à collecter suffisamment d'or et de matériaux pour remplir son armurerie et varier les plaisirs, en passant de l'épée à la lance, du chakram aux poings. Plus qu'un simple plaisir, cette variété est imposée par la multiplicité des groupes d'ennemis, plus ou moins immunisés contre certaines attaques.
Malgré toutes ces bonnes intentions, on n'échappe pas à la répétitivité excessive des combats, desquels il est souvent impossible de s'extraire. En effet, quand il ne s'agit pas d'une ligne droite, les assauts par petits groupes se tiennent dans des zones closes, dont les portes ne s'ouvrent qu'une fois tous les adversaires abattus. Les quêtes annexes, débloquées au fur et à mesure, n'apportent pas davantage de surprises. Souvent restreintes à une (petite) partie de la (petite) carte, leur intérêt est marginal, et leur difficulté souvent abusive. Ce n'est rien, comparé à l'horreur que vous fera vivre l'ultime boss du jeu, celui de la dérivation D, et sa séquence de rythme inqualifiable, masochiste, cauchemardesque. La musique, justement, est peut-être bien ce qui sauve Drakengard 3 de sa triste débâcle. Une fois de plus, le compositeur Keiichi Okabe oscille entre simplicité, fougue et mélancolie, avec des mélodies envoûtantes, des chants glaçants et des rythmes féroces. Bien que l'on soit loin des grandioses orchestrations de NieR, si vous décidez de ne jamais vous frotter au jeu, prenez au moins la peine d'en écouter la bande originale. Elle, ne vous décevra pas
J'aurais adoré transpirer au rythme de cette épopée, couvrir Drakengard 3 de compliments, lui souhaiter un grand succès pour que la série perdure. Mais comment pourrais-je faire abstraction de cette technique catastrophique ? Si l'univers sombre et l'histoire étonnante s'intègrent parfaitement dans la mythologie construite au fil des deux premiers épisodes, les lacunes sont telles qu'on en vient à boucler l'aventure sans ne jamais y revenir. S'il sort de sa tanière pour une quatrième promenade, le dragon devra faire peau neuve.