Interview : les combats vus par Hiroyuki Itô

Le 01 décembre 2012 à 13:11 par Bastien 0 commentaire


Connaissez-vous Hiroyuki Itô ? Non ? Ce développeur, riche d'une longue expérience au sein des studios de Square Enix, est pourtant l'un des piliers de la société, qu'il a rejoint peu avant la sortie du premier Final Fantasy. Simple débuggueur absent des crédits en 1987, il a réussi à imposer son expertise en matière de design et sa vision du combat pour finalement travailler sur des titres prestigieux, maintenant acclamés pour leurs affrontements épiques et stratégiques. Et parce que cette interview presque croisée menée par le site 1UP est particulièrement passionnante, il aurait été dommage de passer à côté. Bonne lecture.


Tout d'abord, comment vous êtes-vous retrouvé à travailler sur Final Fantasy ?

Hiroyuki Itô : En fait, j'étais déjà un employé de Square avant le début de Final Fantasy. C'est comme ça que ça a commencé.

C'était une petite société, à l'époque.

Hiroyuki Itô : Oui.

Elle était dans une situation financière inextricable pendant le développement du Final Fantasy, d'où le titre du jeu. Pouvez-vous nous en parler ?

Hiroyuki Itô : Je ne m'intéresse pas vraiment à la partie commerciale de la société. Je ne sais pas trop pourquoi ce nom a été choisi. Je n'étais qu'un employé, alors... Dites-moi, quel était votre premier Final Fantasy ?

Le tout premier.

Hiroyuki Itô : Vous aviez quel âge ?

14 ou 15 ans, je pense.

Hiroyuki Itô : Vous viviez à San Francisco à l'époque ?

Non, je vis à San Francisco maintenant, mais à l'époque, je vivais dans le Texas.

Hiroyuki Itô : Vous êtes né là-bas ?

Non, dans le Michigan. Pas loin de Détroit. J'ai beaucoup bougé.

Hiroyuki Itô : C'est plutôt chouette, Détroit. Vous regardez la NFL ?

Non, pas beaucoup. J'aimais bien les Detroit Tigers, leur équipe de base-ball, quand j'étais petit.

Hiroyuki Itô : Et vous avez déjà vu l'équipe de San Francisco, les 49ers ?

Non, je ne suis jamais allé les voir. En vérité, je ne m'intéresse pas vraiment au football américain. (Rires) Vous vous y connaissez sans doute plus que moi.

Hiroyuki Itô : Dans ce cas, inutile d'en parler. (Rires)

Pour en revenir à vos débuts chez Square... Sur quels projets aviez-vous travaillé avant Final Fantasy ?

Hiroyuki Itô : Alien.

Il était sorti, ce jeu ? J'en avais entendu parler, mais...

Hiroyuki Itô : La version MSX était sortie, mais moi, j'avais travaillé sur la version PC. Mais à cause des difficultés dont vous parliez tout à l'heure, cette version n'est jamais sortie.


Et donc, après Alien, vous avez commencé à travailler sur Final Fantasy ?

Hiroyuki Itô : J'étais ce qu'on pourrait dire un homme à tout faire. Je faisais des choses par-ci, par-là, histoire de me rendre utile. Je n'ai rien fait de spécial, en fait. (Rires)

Vous dites que vous étiez un homme à tout faire, mais vous avez sûrement mis la main à la pâte sur quelque chose...

Hiroyuki Itô : Je m'occupais surtout du système de combat.

Vous avez créé le système de combat ou vous avez juste aidé à le peaufiner ?

Hiroyuki Itô : Oui, oui, j'ai bien créé le système de combat.

Quelle a été votre inspiration ?

Hiroyuki Itô : Disons que je ne me suis inspiré de rien. Je me suis simplement demandé de manière logique : comment créer un système de combat efficace pour un jeu de rôles ? C'est comme ça que j'ai trouvé ma réponse. Cela dit, les bases du système viennent des sports professionnels...

Vous pensez à un sport en particulier ?

Hiroyuki Itô : Oui, le football américain en particulier.

Je crois comprendre. Les deux équipes alignées de chaque côté qui agissent à tour de rôle...

Hiroyuki Itô : Oui. C'est vraiment lié au fait que, dans la NFL, les parties sont préparées d'avance. Chaque équipe a sa stratégie. C'était l'idée de base.

Vous aviez beaucoup joué à des RPG avant ? Que ce soit en jeu vidéo ou sur table.

Hiroyuki Itô : Non.

Donc vous êtes arrivé dans ce genre sans vraiment savoir en quoi ça consistait et en agissant librement ?

Hiroyuki Itô : Voilà.

Le premier Final Fantasy a beau avoir 25 ans, vous saviez que des gens y jouent encore fréquemment ? Il y a comme une sorte de culture autour du jeu. Ils cherchent de nouvelles façons de l'explorer et s'imposent des défis. En avez-vous déjà entendu parler ?

Hiroyuki Itô : Non, pas vraiment. J'imagine que c'est normal quand un jeu est populaire. Il atteint plein de personnes différentes.

Après le premier Final Fantasy, vous avez travaillé sur quelques autres épisodes de la série, n'est-ce pas ?

Hiroyuki Itô : J'ai travaillé sur le IV, le V, le VI, le IX, Final Fantasy Tactics et puis le XII.


Et votre rôle était plus ou moins le même à chaque fois ?

Hiroyuki Itô : Presque exactement, oui.

Les Final Fantasy changent énormément d'un jeu à l'autre. À quel point avez-vous participé à ces changements connus par la série ?

Hiroyuki Itô : En fait, au début, je ne connais absolument rien de l'histoire. (Rires) Je la découvre plus tard, quand le jeu est déjà en développement. A partir de là, je fais en sorte que le système corresponde à l'histoire au fur et à mesure de l'avancée. J'essaie vraiment de les faire correspondre à chaque fois que c'est possible.

Les Final Fantasy récents ont des histoires plus copieuses et des personnages plus définis... En quoi votre approche sur ces épisodes a pu changer de celle du tout premier Final Fantasy ?

Hiroyuki Itô : Comme je suis en charge de la construction du jeu, je ne ne suis pas vraiment conscient de cette différence ou des histoires plus profondes. Je réfléchis beaucoup plus en termes de système. Les personnes en charge de l'histoire ont déjà beaucoup à faire, alors je fais tout mon possible pour que son intégration soit la moins douloureuse possible.

J'ai interviewé Takashi Tokita l'année dernière et il m'a parlé de Final Fantasy IV. Il m'a dit que vous avez joué un rôle énorme dans la création du système Active Time Battle et que vous vous étiez inspiré de votre amour pour les jeux de course.

Hiroyuki Itô : Même si, à l'époque, on ne voyait pas vraiment ça dans les jeux, je sentais qu'en fin de compte, les combats de ce type de jeux se dérouleraient en temps réel. C'était ce que j'avais prédit. Ce qu'il s'est passé avec ce jeu, c'est que je me suis demandé comment s'approcher du temps réel tout en sachant qu'on ne pouvait pas encore bien le faire. C'est comme ça que j'ai imaginé le système, en cherchant à m'approcher le plus près possible des combats en temps réel. En même temps, je me disais que si nous mettions trop l'accent sur l'action, cela ferait peur aux joueurs. J'ai donc imaginé un jeu d'action sans la partie action. (Rires) C'était un peu ce que je cherchais à faire. Eviter le côté action trop difficile.

Comment peut-on donner l'illusion d'un jeu d'action sans y mettre de l'action ?

Hiroyuki Itô : Quand j'ai cherché à trouver une réponse à cette question, la première chose qui m'est venue à l'esprit est la boîte de vitesses automatique dans les voitures. Je me suis dit que c'était vraiment la base. Avec une boîte de vitesses automatique, la voiture passe les vitesses à votre place. Vous avez juste à enclencher la marche avant. Mais même si c'est automatique, il faut donner quelque chose à faire au conducteur, sinon il s'ennuie. Alors même si j'ai automatisé le processus, j'ai donné quelque chose à faire au joueur (comme appuyer sur l'accélérateur ou le frein) pour qu'il sente qu'il participe à ce processus.

À cette époque, ils avaient changé les règles de la Formule 1 pour autoriser les boîtes de vitesses semi-automatiques. Les pilotes devraient changer de vitesses, mais il n'y avait pas d'embrayage. C'était à mi-chemin entre la boîte automatique et la boîte manuelle. Je me suis dit qu'en m'inspirant de ce système et en cherchant à l'implémenter, je pourrais donner l'illusion aux joueurs qu'ils contribuent bien plus qu'ils ne le pensent à l'action, alors que de nombreux processus sont automatiques.


Le système ATB a beaucoup changé dans Final Fantasy V. Dans Final Fantasy IV, chaque action était liée à un décompte. Plus elle était complexe, plus elle mettait de temps à se lancer, même après avoir entré son choix.

Hiroyuki Itô : Ce n'était rien de plus que l'évolution naturelle du système. Il n'était pas encore complet dans Final Fantasy IV, à mon avis. Après en avoir discuté avec les nouveaux membres de l'équipe, j'ai eu le sentiment que le système avait évolué dans la bonne direction.

Est-ce qu'à un moment, le système ATB a atteint sa forme optimale ? Un moment où vous vous seriez dit : « c'est ce qu'il doit être » ?

Hiroyuki Itô : Je pense que la forme optimale du système ATB n'est pas encore arrivée. Quand j'ai commencé à travailler dessus, je devais toujours faire avec les capacités techniques des consoles, par exemple la mémoire disponible. On approche de plus en plus du niveau optimal, où je pourrais faire absolument tout ce que je veux. On n'y est pas encore, mais ça vient. Vous pensiez peut-être au système des gambits ?

Disons que ça ressemble à une suite logique. Le système Active Dimension Battle de Final Fantasy XII ressemble beaucoup à ce système semi-automatique...

Hiroyuki Itô : Ma motivation pour le système des gambits, c'était que si vous vouliez jouer seul à un jeu en ligne, vous voudriez que tous les membres de votre équipe agissent comme vous le souhaitiez... C'est ce souhait qui a donné naissance au système des gambits. Mais c'était déjà comme ça que fonctionnaient les monstres de Final Fantasy IV... Leurs algorithmes, leur comportement si vous préférez, sont basés sur un système similaire à celui des gambits. C'est un peu comme les guides des formations que les équipes de la NFL utilisent.

Donc, vous dites que le comportement de vos personnages dans Final Fantasy XII utilise la même technologie, ou plutôt les mêmes algorithmes de programmation, que celle utilisée pour les monstres des épisodes Super Nintendo.

Hiroyuki Itô : Oui.


Nous n'avons pas encore parlé du système de jobs. Je sais que vous n'avez pas créé celui de Final Fantasy III, mais il a été grandement peaufiné dans Final Fantasy V et Tactics, puis d'une certaine manière dans Final Fantasy XII International Zodiac Job System. Pouvez-vous nous dire comment vous avez amélioré le système de job ?

Hiroyuki Itô : J'ai le sentiment qu'en général, les gens s'efforcent toujours de se rendre utile d'une manière ou d'une autre. Le système de jobs est justement basé sur cette envie d'être utile, car il vous demande de trouver le bon rôle. J'ai toujours eu cette impression qu'on peut parler de jobs même dans la vraie vie. Nous y avons un peu nos rôles.

Je trouve vraiment que c'est le point de rencontre parfait entre le monde de fantasy et le monde réel. Dans l'un comme dans l'autre, tout le monde a des désirs et des motivations. Et c'est pour ça que le système de jobs est aussi chouette. Je ne perds jamais ça de vue. Même si c'est le producteur du jeu qui me demande de faire ce système, j'ai toujours ces idées en tête. (Rires)

Quand je regarde les RPG qui avaient des systèmes de classes avant Final Fantasy V, le III ou même Wizardry notamment, je me dis qu'il y a les classes basiques et celles au-dessus, qu'on pourrait dire « de prestige ». Par exemple, dans FFIII, il y avait le sage et le ninja et tout le monde voulait les obtenir. Pourtant, il n'y avait pas vraiment ça dans Final Fantasy V. Chaque classe avait sa valeur propre et on pouvait aussi mélanger leurs compétences. Pouvez-vous nous parler de la philosophie à la base de ce système ?

Hiroyuki Itô : De manière générale, je ne suis pas tout à fait d'accord sur le fait que les jobs de base sont inférieurs à ceux de prestige... J'ai le sentiment que les jobs de base ont une vraie valeur dans le jeu. Pour moi, ces deux façons de voir le système de job sont légitimes, il se trouve juste que nous avons fini par laisser de côté ces jobs de prestige. J'essaie de m'accorder à l'univers dans lequel se déroule le jeu. Si l'histoire nécessite plutôt un système de rangs ou s'il y a quelque chose dans l'univers du jeu qui figure une idée de rangs, alors j'essaie de l'intégrer dans le système.

Pensez-vous travailler un jour de nouveau sur un Final Fantasy ? Est-ce quelque chose que vous aimeriez faire ?

Hiroyuki Itô : Je ne suis qu'une petite main, alors si le président me demande de le faire, je le ferai. (Rires) Demandez à M. Wada.

Pour finir, vous saviez que des personnes jouaient à Final Fantasy V au profit d'œuvres caritatives ? On leur donne une classe pour tout le jeu, ou une classe par cristal, et ils doivent essayer de finir le jeu sans en changer. Ils le font pour récolter des fonds, c'est généralement sous la forme de défis, comme : « si je bats Exdeath avec seulement un Berzerker et un Mage blanc, je donne telle somme à une bonne œuvre ».

Hiroyuki Itô : C'est à San Francisco ?

Sur Internet, en fait.

Hiroyuki Itô : Non, je n'en avais pas entendu parler.
Merci à Jérémie, qui avait traduit cette interview pour Final Fantasy World avant de la mettre de côté et de me la confier. Elle est ici en lieu sûr. Et si votre soif de connaissances n'est pas rassasiée, lisez vite la longue interview d'Akitoshi Kawazu publiée il y a quelques semaines ici-même.