Interview : l'univers de FFXV selon Akio Ôfuji et Takeshi Nozue
Invités à Japan Expo pour présenter au public français l'univers de Final Fantasy XV, les créateurs de Brotherhood et Kingsglaive, Akio Ôfuji et Takeshi Nozue, ont également profité de l'évènement pour répondre à quelques interviews. Préparée et menée avec mon camarade Jérémie de Final Fantasy World, cette rencontre avec Ôfuji sera finalement ponctuée par l'intervention de Nozue, las d'attendre son avion pour Tokyo. Un échange sympathique pour mieux comprendre leurs ambitions et la genèse de leurs projets.
Final Fantasy World : Commençons par la plus importante de toutes les questions… M. Ôfuji, pourquoi portez-vous toujours une casquette ?
Akio Ôfuji : Je ne répondrai pas à cette question. (rires) Disons juste que c’est mon style.
Final Fantasy Ring : Bien, revenons à Final Fantasy ! Lors du dernier E3, beaucoup ont été déçus par la démo jouable, qui était plutôt confuse. De plus, Hajime Tabata a montré des vidéos du jeu tournant sur PC, pas encore optimisé pour les consoles. À plus de deux mois de la sortie du jeu, comment pouvez-vous nous garantir que FFXV tiendra ses promesses ?
Akio Ôfuji : Je ne fais pas partie des gens qui conçoivent le jeu, alors il m’est difficile de répondre aux questions concernant son évolution et ses améliorations. Mon rôle est principalement de promouvoir le jeu, alors je vous répondrai en tant que tel… Ce que je peux vous dire, c’est que nous avons été très attentifs aux réactions des joueurs de la démo à l’E3 et que nous avons fait remonter ces informations à l’équipe de développement. Ils ont bien pris note et je suis sûr qu’ils travaillent dur pour améliorer ce qui n’a pas convaincu les gens. Nous avons aussi été attentifs à la réaction des joueurs pendant les présentations sur scène, pour voir ce qui leur plaisait et ce qui semblait moins les emballer, et nous utilisons ces retours pour améliorer du mieux que possible le jeu. Mais si je dois bien dire quelque chose, c’est que j’ai foi en eux. Je crois sincèrement que cette équipe de développement est capable de créer un jeu formidable.
Final Fantasy World : Vous pourrez peut-être en dire plus sur ce sujet. Pendant le développement, vous avez beaucoup communiqué avec les joueurs, par exemple grâce aux Active Time Reports. Maintenant que le développement touche à sa fin, à quel point cette communication a-t-elle influencé le jeu, selon vous ?
Akio Ôfuji : Vous savez sans doute qu’il y a eu de longues périodes pendant lesquelles nous n’avons donné absolument aucune nouvelle du jeu, puis nous avons décidé de passer à un style de communication ouvert. Comme nous n’avons pas montré grand-chose pendant longtemps, et aussi comme il y a eu le changement de réalisateur, nous voulions nous assurer que les fans avaient toujours confiance en nous, alors nous avons pensé que cette posture était nécessaire pour les convaincre qu’ils pouvaient nous croire.
C’est intéressant d’ailleurs, car s’il est vrai que Final Fantasy a une communauté très active en Amérique et ici depuis longtemps, notre modèle de développement consistait jusque-là à créer la version japonaise d’abord, puis à publier la version occidentale environ un an plus tard. Mais nous, nous ne savions pas vraiment qu’il y avait une telle communauté à l’étranger, car une telle chose n’existe pas vraiment au Japon. Donc, quand nous avons décidé de passer à une communication ouverte, nous avons fait en sorte de parler à des gens du monde entier, et c’est là que nous avons compris qui étaient ceux pour qui nous faisions le jeu. Et c’est super, finalement, de pouvoir parler à ces gens et de savoir ce qu’ils aiment ou non. Même pour vous, c’est une bonne chose de pouvoir vous adresser directement à ceux qui développent le jeu. Vous vous souvenez sans doute également du sondage que nous avons organisé après la sortie d’Episode Duscae, c’était très intéressant aussi.
Je crois sincèrement que cette équipe de développement est capable de créer un jeu formidable.
Final Fantasy World : Cette communication ouverte nous permet aussi parfois de manifester notre mécontentement, par exemple il y a quelques mois quand M. Tabata a fait des commentaires qui ont pu surprendre voire choquer certains fans. Vous savez, ces histoires de FFVII qui serait le dernier « vrai » Final Fantasy… En entendant ça, il y avait de quoi tiquer.
Akio Ôfuji : (rires) Je pense que ce que M. Tabata voulait dire, c’était que Square Enix n’avait pas vraiment fait de Final Fantasy d’un genre totalement nouveau depuis FFVII, mais je reconnais qu’il a utilisé des mots très forts. Même en interne, certaines personnes ont trouvé qu’il aurait peut-être pu le dire d’une autre manière… Mais l’une des choses à laquelle M. Tabata a beaucoup réfléchi en amorçant ce grand changement depuis les combats au tour par tour vers une approche bien plus riche en action, c’est l’idée que nous avons peut-être atteint les limites de ce qu’il est possible de faire avec le tour par tour, et qu’il faut réfléchir à ce que sera l’avenir de Final Fantasy.
Final Fantasy World : Bien, parlons de Brotherhood ! Pouvez-vous nous dire quand et comment est née l’idée de faire une série animée ?
Akio Ôfuji : L’idée originale remonte à il y a environ un an et demi. Je ne participais pas à la promotion du jeu au tout départ, quand il était encore connu sous le nom de Final Fantasy Versus XIII. Je n’ai rejoint le projet qu’après la transformation en FFXV, alors comme je devais prendre le train en marche et tenter de comprendre ce qu’était le jeu, j’ai réuni différents documents de conception pour les lire. Il se trouve que dans l’un de ces documents, il y avait le détail du passé des personnages, et je me souviens qu’en le lisant, j’ai appris que Prompto était en fait obèse quand il était plus jeune. Ça m’a semblé très surprenant, alors je suis allé en parler à l’équipe responsable du scénario, qui m’a raconté l’histoire du personnage. J’ai trouvé que c’était vraiment chouette, alors je leur ai demandé s’ils comptaient raconter cet épisode dans le jeu… Mais ils ont répondu que non, que c’était simplement des informations de contexte. Ça m’a réellement donné envie de créer un moyen de montrer aux fans cette autre facette des personnages, et c’est comme cela qu’est né le projet Brotherhood. Je suis allé en parler à Tabata, qui m’a tout de suite dit : « tu devrais en faire un animé ! » (rires) Et c’est ce qu’on a fait !
Final Fantasy Ring : Brotherhood essaie effectivement de développer un peu plus les personnages et leurs relations, mais selon vous, pourquoi une série animée est-elle plus appropriée que des cinématiques ou des quêtes secondaires dans le jeu en lui-même ?
Akio Ôfuji : Quand vous commencerez à jouer à FFXV, vous verrez dès le départ ces quatre amis qui se connaissent déjà bien. Ce qui est bien, dans un jeu comme celui-là, c’est de voir l’histoire progresser, et il est parfois frustrant d’être interrompu dans cet élan par une scène montrant des événements passés. Nous avons donc cherché comment raconter ces épisodes d’une manière différente, qui ne briserait pas le cours de l’histoire du jeu. J’ai trouvé qu’une série animée permettait très bien de le faire, car ce format a une sorte de douceur qui aide beaucoup à révéler l’humanité des personnages. Je me suis aussi dit que connaître la petite histoire derrière certaines de leurs conversations améliorerait votre expérience de jeu.
Mais ce n’est pas tout. Vous voyez cet homme, là-bas ? [Il désigne Takeshi Nozue, qui est assis de l’autre côté de la pièce] C’est lui qui a fait le film Kingsglaive. Et il l’a tellement bien fait que je me suis dit qu’il était impossible de faire mieux avec des graphismes en images de synthèse, alors je n’avais pas d’autre choix que de faire du dessin animé. (rires) Nous ne jouons clairement pas dans la même cour.
Final Fantasy Ring : Peut-on dire qu’il y a une rivalité entre vous ? (rires)
Akio Ôfuji : Tout à fait ! (rires)
Takeshi Nozue : Pas pour moi !
Akio Ôfuji : Non, il sait très bien qu’il a déjà gagné. Il est bien plus fort que moi. (rires) Cela ne nous empêche pas d’avoir nos bureaux l’un à côté de l’autre, cela dit. En fait, au tout départ, nous nous sommes réunis et nous avons décidé que nous voulions créer plusieurs points d’entrée vers cet univers, afin d’attirer plein de gens différents. En tant qu’équipe, nous avons pensé que ces différents formats étaient un bon moyen d’y parvenir.
Final Fantasy Ring : Mais comment arrivez-vous à maintenir l’équilibre de l’univers FFXV, quand on voit que Kingsglaive est un film très occidentalisé, là où Brotherhood est une série animée typiquement japonaise ?
Akio Ôfuji : Je crois que toutes les personnes impliquées dans ce projet ont un avis différent. Mais en fin de compte, tout converge vers le jeu, Final Fantasy XV. En termes de création, nous abordons ces projets comme des histoires et des produits indépendants les uns des autres. Nous n’avons pas réellement cherché à trouver un équilibre. Tout dépend en fait de ce que chaque créateur cherche à faire, et du média qu’il souhaite utiliser pour y parvenir. Quand M. Nozue ici présent a décidé de créer sa propre histoire, il a pensé que les images de synthèse étaient le meilleur choix. Moi, quand j’ai décidé de faire Brotherhood, j’ai choisi le dessin animé. En fin de compte, quel que soit le projet, je pense que vous pouvez sentir qu’ils sont tous associés à FFXV, parce qu’ils sont liés au jeu, et parce qu’il s’agit du même univers. Dans le cas de M. Nozue, vous pouvez dire ce que vous voulez, mais son film est du FFXV pur jus. D’ailleurs, la façon dont il me dévisage me fait un peu peur… (rires)
Takeshi Nozue : En fait, j’ai du temps libre avant de partir prendre mon avion, alors je peux me joindre à vous, si vous le souhaitez.
Akio Ôfuji : Ah, il a envie de discuter !
[Takeshi Nozue se lève et vient s’installer près d’Akio Ôfuji]
Final Fantasy World : Et vous, quel est votre avis sur la différence entre l’approche à l’occidentale de Kingsglaive et le style japonais de Brotherhood ?
Takeshi Nozue : Oh, je pense que ce que Brotherhood montre est en fait représentatif de la vie quotidienne des gens. Que ce soit en France ou partout ailleurs dans le monde, il y a d’un côté le style de vie des familles royales ou de l’aristocratie [« Enfin, ce n’est plus le cas en France », ajoute l’interprète en plaisantant], et de l’autre la façon dont vivent les gens normaux. Vous n’avez pas encore vu Kingsglaive en entier, mais il y a aussi des scènes montrant la vie quotidienne des personnages, alors quand vous le verrez, vous trouverez peut-être qu’il y a pas tant que ça de différences avec Brotherhood, en fin de compte. Il y a beaucoup de personnages divers et variés dans l’univers de FFXV, mais c’est la même chose en vrai, finalement. En France, au Japon ou ailleurs, les gens vivent tous à leur façon.
Final Fantasy World : J’ai trouvé que le 2e épisode de Brotherhood était extrêmement japonais dans l’esprit, par exemple la représentation de la ville, et j’ai justement trouvé que c’était très différent de tout ce qu’on a pu voir de FFXV jusqu’à présent.
Akio Ôfuji : L’organisation de la ville est en réalité basée sur le concept initial du pays de Lucis. Simplement, comme c’est la première fois que vous pouviez voir cette partie-là de l’univers, vous avez pu avoir l’impression que c’était très différent du reste, mais c’était bien prévu comme ça depuis le départ. L’urbanisme de la cité-État d’Insomnia s’inspire de Tokyo, avec au centre le palais royal qui est directement basé sur le bâtiment du gouvernement de la métropole de Tokyo, puis autour de lui un quartier d’affaires très moderne ressemblant à Shinjuku, puis à l’extérieur des quartiers résidentiels qui sont eux-mêmes basés sur des cités-dortoirs telles que nous en avons au Japon. Tout cela était présent dès le départ, et n’a pas été créé spécialement pour l’épisode 2 de Brotherhood.
Takeshi Nozue : Au passage, puisque je suis en France, j’ai quelque chose à ajouter. Insomnia s’inspire de Tokyo, c’est une évidence, mais nous avons malgré tout inséré un certain nombre de monuments emblématiques d’autres endroits du monde. Certains sont tirés de Paris, alors j’espère que vous vous amuserez à les trouver ! Vous les reconnaîtrez sans doute immédiatement. Ce sont des lieux très importants pour l’histoire également.
Final Fantasy Ring : Vous avez choisi de publier tous les épisodes de Brotherhood avant la sortie du jeu, mais croyez-vous que c’était le meilleur choix en termes d’immersion ? N’était-ce pas un peu prématuré ?
Akio Ôfuji : Je n’ai aucun regret. Je pense même que nous devions absolument le faire avant la sortie du jeu. Je suis sûr que M. Nozue, qui a travaillé à la fois sur FFVII Advent Children et Kingsglaive, pense la même chose à propos de la différence entre ces deux films. Si nous avions choisi de le faire d’une manière traditionnelle et d’attendre la sortie de FFXV pour publier la série animée, les gens l’auraient achetée simplement pour revoir des personnages qu’ils connaissent déjà et en savoir un peu plus sur eux. D’une certaine manière, ça aurait été une sorte de redite. Nous avons donc décidé de faire les choses dans l’autre sens : au lieu de vous montrer un peu plus les personnages que vous connaissez déjà, nous vous permettons de faire connaissance avec eux avant de vous lancer dans le jeu.
Au lieu de vous montrer un peu plus les personnages que vous connaissez déjà, nous vous permettons de faire connaissance avec eux avant de vous lancer dans le jeu.
Final Fantasy World : Pour conclure, avez-vous un message en particulier pour les fans français qui attendent avec impatience FFXV, Kingsglaive et la suite de Brotherhood ?
Akio Ôfuji : Je l’ai dit sur scène tout à l’heure, mais je suis déjà venu plusieurs fois en France, à l’époque de FFXIII et de FFXIII-2, et j’ai eu l’occasion de revenir pour FFXV, alors je sais depuis longtemps que la communauté française de Final Fantasy est très enthousiaste. Je me suis toujours dit que ce serait bien de trouver un moyen de vous remercier pour votre soutien sans faille, et compte tenu de la date à laquelle Japan Expo se déroulait, j’ai pensé que je devais absolument faire en sorte que nous y présentions le 3e épisode de Brotherhood en avant-première. Quand j’étais sur scène, quand j’ai entendu le public applaudir, je me suis senti d’autant plus heureux d’avoir pu venir ici et le partager avec vous.
Final Fantasy Ring : Maintenant, nous voulons des épisodes supplémentaires !
Akio Ôfuji : J’y réfléchirai. C’est vrai qu’il y a eu beaucoup d’applaudissements… [Interrogé pendant la présentation sur scène à Japan Expo sur la possibilité de voir de nouveaux épisodes de Brotherhood en plus des cinq prévus, Akio Ôfuji s’en était ouvert à l’avis du public, qui avait applaudi en retour.]
Takeshi Nozue : En ce qui me concerne, c’est la première fois que je viens en France. Ôfuji et d’autres m’ont déjà raconté que nos productions étaient toujours très bien reçues ici. J’ai travaillé sur FFXIII moi aussi, et Ôfuji m’avait parlé de l’accueil du public ici. Mais je n’avais jamais eu l’occasion de venir, alors faire le déplacement cette fois-ci pour montrer Kingsglaive aux gens était une expérience formidable. Advent Children aussi a été très bien accueilli en France, et je pense que si vous avez aimé celui-là, vous aimerez Kingsglaive encore dix fois plus.
Final Fantasy Ring : Les dix premières minutes étaient déjà incroyables !
Takeshi Nozue : Attendez de voir les dix dernières…
Akio Ôfuji : Je vous ai dit tout à l’heure que nous étions des rivaux parce que nous avons tous les deux travaillé sur des projets vidéos, mais j’ai vu Kingsglaive et c’était vraiment excellent. J’espère que vous l’apprécierez autant que moi.
Propos recueillis par Bastien Péan et Jérémie Kermarrec pour FFRing et FFWorld.
Merci à Idir de Square Enix France d'avoir organisé cette interview.