Interview : Florent Gorges, biographe d'Amano

Le 09 juillet 2015 à 18:43 par Bastien 0 commentaire


Difficile de parler de la série Final Fantasy sans évoquer l’implication de l’artiste Yoshitaka Amano, que beaucoup de fans estiment. Ce mois-ci, Florent Gorges (historien du jeu vidéo, traducteur interprète et fondateur des éditions Omaké Books) publie en collaboration avec Pix’n Love la première biographie officielle de l’artiste. Pour célébrer cette sortie exceptionnelle, j’ai eu la chance de poser quelques questions à Florent, sur sa relation avec Monsieur Amano et la conception de cet ouvrage si particulier. Le livre est actuellement disponible chez Omaké Book, où vous pouvez d’ailleurs demander une dédicace Florent. Une prestigieuse édition limitée est également en précommande chez Pix'n Love. Bonne lecture à toutes et à tous !


Raconte-moi le début de ta relation avec la série Final Fantasy. Lui es-tu toujours aussi fidèle depuis toutes ces années ?

Florent : Eh bien, ça va peut-être vous surprendre mais je ne suis pas particulièrement fan de la série Final Fantasy. J'aime la série, mais pas plus que Crash Bandicoot ou encore les Gradius, pour donner deux exemples bizarres. C'est peut-être justement cette distance, ce recul, le fait que je ne sois pas un fan, qui m'a permis de gagner la confiance d'Hironobu Sakaguchi (pour qui je travaille depuis près de sept ans) et de Yoshitaka Amano. Par exemple, Hironobu Sakaguchi est aujourd'hui un peu fatigué de devoir sans arrêt parler de Final Fantasy, tant il a l'impression d'avoir déjà tout dit des dizaines de fois. Et je pense qu'il aime le fait que je ne lui en parle pratiquement jamais. D'ailleurs, quand nous nous sommes rencontrés la première fois, nous n'avons même pas parlé de FF !

Pour Amano-san, c'est un peu différent, mais là encore, la première fois que je l'ai rencontré en privé, on a surtout parlé de sa carrière à Tatsunoko. Ce n'est qu'après six ou sept heures d'interview que j'ai prononcé les mots Final Fantasy pour la première fois. Je pense que si j'avais été un très gros fan de la série, ça ne se serait pas aussi bien passé. Et surtout, la biographie de Yoshitaka Amano n'aurait pas été aussi et représentative de la véritable carrière de cet artiste : un fan n'est jamais vraiment objectif...

Comment et où as-tu rencontré Yoshitaka Amano pour la première fois ? Et surtout, comment est né ce projet un peu fou d’écrire une biographie officielle, que personne n’avait encore jamais osé faire ?

Florent : Ça s'est passé au Toulouse Game Show 2012. Plus précisément, par l'intermédiaire de la société Shibuya International, qui avait fait venir plusieurs artistes et créateurs japonais (notamment Amano et Suda51). Comme Pix'n Love souhaitait développer sa collection de biographies "Les Grands Noms du Jeu Vidéo », on a tous eu la même idée en même temps. On s'est dit : « Et si on profitait de cette belle opportunité pour proposer à Amano et Suda51 de publier leurs biographies officielles ? » Et ça s'est fait !

Maintenant, pour ce qui est de la première rencontre avec Amano, je dois présenter mes excuses. Parce que pour être honnête, je m'attendais surtout à croiser un artiste froid et distant. Il faut dire que Yoshitaka Amano, en public, ne sourit pas beaucoup. Il a l'air peu accessible, voire même fermé. Mais je rassure tout le monde, je me suis totalement trompé. Il est juste très mal à l'aise en public : c'est un artiste solitaire qui aime le calme et la solitude. Quand Amano est entré dans la pièce pour notre rendez-vous en privé, il était au contraire extrêmement sympathique, souriant, accessible et d'une modestie vraiment désarmante. Nous lui avons montré les biographies que j'avais auparavant rédigées (celles de Gunpei Yokoi et Yoshihisa Kishimoto), il les a feuilletées, il a trouvé ça très beau et après seulement 10 minutes, il m'a répondu : « Je suis à Paris pour un mois, dans mon atelier du quartier latin. Si tu veux, tu peux venir après-demain pour commencer. » Je n'en croyais pas mes oreilles, car c'est un artiste de renommée mondiale et j'étais persuadé qu'il ne donnerait jamais suite à ce projet de biographie ! Bref, depuis ce jour, je suis un peu sur mon petit nuage.

Comment décrirais-tu le quotidien de Yoshitaka Amano ? On l’imagine enfermé plusieurs heures dans son atelier, mais je suppose que la réalité est tout autre ?

Florent : Eh bien non, ta première hypothèse est la bonne. Yoshitaka Amano passe réellement ses journées à dessiner. C'est d'ailleurs assez incroyable car l'inspiration ne semble jamais se tarir. Lui-même dit qu'il aimerait avoir quatre mains pour peindre deux fois plus. Parce qu'il n'arrive pas à suivre le rythme de son inspiration. Bref, je vous laisse le plaisir de découvrir son étonnant quotidien dans la biographie, mais pour donner une piste de réponse amusante, je vais citer les propos de son épouse, qui me disait en riant : « Amano ne sait rien faire d'autre que peindre ou dessiner. Il ne sait pas cuisiner, il ne sait pas conduire. Mais dès qu'il prend un pinceau, en revanche, on ne peut plus l'arrêter. Même si une guerre nucléaire éclatait subitement, il ne s'arrêterait pas tant que son œuvre n'est pas terminée. D'ailleurs, je ne sais même pas s'il remarquerait qu'une guerre vient d'éclater… » (Rires).


À ses débuts, Yoshitaka Amano était très impliqué dans la création des jeux Final Fantasy. Petit à petit, il s’est détaché des projets, pour ne travailler que sur les logos et quelques illustrations. Selon toi, sera-t-il amené à un jour à travailler davantage sur un épisode de la série ?

Florent : Lorsque j'ai élaboré un plan éditorial pour cette biographie, Amano et moi avons été d'accord sur le même point : il fallait être "juste" et donner à Final Fantasy la place que la série occupait vraiment dans sa carrière. Certes, c'est la série qui lui a donné sa reconnaissance internationale, mais en réalité, Final Fantasy ne change pas son quotidien. La série ne représente que 1 ou 2 % de son travail ! Et en fait, Amano ne s'est pas "détaché" de la série, il reste toujours aussi disponible pour elle, comme pour les premiers épisodes. Pour être correct, il faut préciser que son implication ne tient qu'à la volonté de Square Enix. Par exemple, si Square Enix demande 300 illustrations à Yoshitaka Amano, il les fera. Si en revanche ils ne lui demandent qu'un logo, il s'exécutera sans se plaindre. Mais ce n'est jamais lui qui décide réellement de son degré d'implication. Amano est quelqu'un qui prend la vie comme elle vient, sans jamais en demander plus. Bref, à la question « sera-t-il plus impliqué à l’avenir ? », c'est à Square qu'il faut poser la question. Car Amano, lui, sera toujours disponible.

Le livre est rempli d’anecdotes sur la carrière de Yoshitaka Amano, et notamment ses collaborations avec Square Enix. Laquelle t’a le plus étonné ?

Florent : Il y a effectivement énormément d'anecdotes inédites sur sa carrière mais également sur les dessous de Final Fantasy. Mais en fait, ce qui m'a le plus surpris, c'est que tout le monde croit que Final Fantasy est le premier jeu vidéo pour lequel Amano a travaillé. Or, c'est totalement faux. C'est juste qu'Amano lui-même avait complètement oublié qu'avant FF, il avait été impliqué sur un autre jeu vidéo ! Un jeu… d’arcade, qui n'avait évidemment rien à voir avec FF. C'est un peu par hasard que j'ai réussi à lui faire cracher le morceau. En insistant, en posant plein de questions, il a fini par s'en souvenir. Bref, avant Final Fantasy, Yoshitaka Amano a travaillé sur un jeu d’arcade, c'est l'un des nombreux scoops de cette biographie !

Cet ouvrage n’est pas qu’un pavé de texte, il est également truffé de photos et d’illustrations. Comment as-tu fait la sélection des artworks présentés parmi la centaine de petites merveilles réalisées par Monsieur Amano ?

Florent : Choisir les illustrations a peut-être été la partie la plus difficile. Je possède chez moi plus d'une dizaine d'artbooks d'Amano et pour les besoins de sa bio, il m'a laissé carte blanche en me disant : « Choisis ce que tu veux, on t'enverra toutes les diapositives pour la reproduction… ». Là, on a fait face à deux grosses difficultés : la première, choisir parmi les milliers d’œuvres (mélange d’œuvres connues et moins connues). La seconde, traiter des… diapositives ! Eh oui, en 40 ans de carrière, Amano a tout sauvegardé sur diapos, et il n'a pratiquement rien en numérique.

J'ai d'abord réalisé moi-même une sélection d'environ 300 ou 400 œuvres représentatives de sa carrière et j'ai envoyé la liste à Yoshitaka Amano. Ensuite, sa manager m'a envoyé un gros colis du Japon contenant les diapositives. À partir de là, j'ai laissé carte blanche à Luc Pétronille, le maquettiste en chef de Pix'n love, pour qu'il affine la sélection définitive. Moi, je n'arrivais plus à me décider. C'est également Luc qui a traité l'épineux problème des diapos. Il a tout numérisé... Un sacré boulot !

Square Enix a été particulièrement visible ces dernières semaines. De toutes les annonces qui ont été faites, de tous les jeux qui ont été montrés un peu plus en détails, quel projet t’excite le plus ?

Florent : Je vais en faire hurler certains car nous sommes sur Final Fantasy Ring, mais le projet éditorial qui me branche le plus chez Square Enix en ce moment, c'est… Tomb Raider ! Non, ne me frappez pas! (Rires)
Propos recueillis par Bastien Péan pour Final Fantasy Ring.