Interview : Naoki Yoshida, réalisateur de Final Fantasy XIV
Après Ichiro Hazama, c'est Naoki Yoshida, producteur et réalisateur de Final Fantasy XIV, que nous avons une nouvelle fois eu l'honneur de rencontrer. Une nouvelle fois, car j'ai à plusieurs reprises eu l'occasion de poser mes questions au plus enthousiaste des créateurs de Square Enix : en 2011, en 2012 et en 2013 notamment. Le temps passe et le MMORPG phare du studio grandit à vue d'œil. Pour ces retrouvailles après quatre ans de silence, Yoshida-san, qui aimerait quitter ses responsabilités de producteur pour rester « simple » réalisateur, revient sur le succès de Stormblood, la dernière extension du jeu. Une interview préparée avec mon camarade Jérémie de Final Fantasy World, que je remercie chaleureusement pour son aide précieuse.
Avec Stormblood, j'ai trouvé que FFXIV avait atteint un niveau de maîtrise assez remarquable. Mais de votre côté, pensez-vous que le jeu est dans un état satisfaisant ? Ou bien est-ce que ça n'est jamais assez ?
Naoki Yoshida : Non, je partage votre impression. En termes techniques, nous avons implémenté le groupage inter-Mondes, ce qui vous permet de jouer avec des personnes qui ne sont pas sur le même serveur que vous et ce qui améliore encore l'expérience de jeu. De plus, les contenus proposés par Final Fantasy XIV, du plus accessible au plus difficile, sont d'une très grande diversité. Enfin, en termes de scénario, l'épopée a été chaleureusement accueillie par tout le monde. Donc en effet, je pense que nous avons encore amélioré la qualité générale du jeu.
Mais maintenant que FFXIV est en vitesse de croisière, trouvez-vous que la logique de « parc d'attractions » est encore pertinente ? Par exemple, le raid Oméga peut sembler un peu trop gratuit et référentiel... Je ne pense pas me tromper en disant que de nombreux joueurs aimeraient que ce soit l'univers spécifique à FFXIV qui soit approfondi.
Naoki Yoshida : À propos du raid Oméga, celui de Heavensward était Alexander, dont l'histoire et les boss étaient totalement uniques à FFXIV. Mais le raid encore avant cela était le Labyrinthe de Bahamut, qui était un élément bien plus emblématique de Final Fantasy. C'est la raison pour laquelle, avec Oméga, nous avons voulu revenir à quelque chose de plus proche de l'esprit Final Fantasy, principalement car nous voulions nous adresser aux nouveaux joueurs, pour les attirer vers le jeu. Je pense cependant que nous n'avons pas trop forcé sur le côté « fan service » cette fois-ci.
En parlant de références, les décors de Gyr Abania m'ont beaucoup rappelé certaines parties de Final Fantasy XI, et pas seulement parce qu'il y a des monstres repris de cet épisode. Était-ce volontaire, ou c'est juste moi ?
Naoki Yoshida : En termes de développement, nous commençons toujours par créer le terrain et l'écosystème de la zone, puis nous réfléchissons aux types de monstres que nous pouvons y ajouter. Dans le cas de Gyr Abania, certains monstres de FFXI semblaient convenir, alors nous avons décidé de les y ajouter. Nous ne nous sommes pas volontairement inspirés de Vana'diel, c'est simplement que le résultat peut effectivement y ressembler. Cela dit, je ne peux pas entrer dans les détails pour le moment, mais il est possible que certains contenus à venir renforcent le lien avec FFXI... Quelque chose qu'il ne vaut mieux pas rencontrer. (Rires)
À chaque extension vous ouvrez de nouvelles zones à explorer. Vous avez également proposé de nouveaux moyens d'explorer la verticalité des niveaux, avec la plongée, le vol... Que reste-t-il à exploiter pour offrir toujours plus de liberté aux joueurs ?
Naoki Yoshida : Le monde du jeu couvre déjà de nombreuses possibilités, que ce soit avec l'exploration au sol, dans les airs, sous l'eau... La seule chose que nous n'avons pas prévue, c'est d'aller dans l'espace. (Rires) Même si en termes d'animations, ce ne serait pas tellement différent de la nage. Là, le problème, c'est l'endroit. Cela dit, avec la mise à jour 4.15, nous allons ajouter un nouveau système nommé les « actions d'interprétation », qui permet aux bardes de jouer de la musique. Donc, en plus des nouveaux contenus apportés par les extensions, nous réfléchissons aussi à l'ajout de fonctions de ce type, pour donner davantage de possibilités de « role-play » aux joueurs.
Mais... et la lune, alors ? Vous nous l'avez montrée, les joueurs veulent s’y rendre maintenant !
Naoki Yoshida : C’est vrai. Je ne sais pas trop... On verra. (Rires)
L'aventure est désormais très généreuse au point que cela pourrait décourager les nouveaux joueurs. Les potions de raccourci permettent d’accéder à Stormblood et de booster son personnage immédiatement, mais cela court-circuite les précédents chapitres du scénario. Avez-vous pensé à créer des résumés ou faire une version condensée des premières extensions pour encourager les nouveaux joueurs ?
Naoki Yoshida : Nous ne prévoyons pas de proposer des versions condensées. La raison pour laquelle nous avons ajouté les potions de raccourcis est que, par exemple, si vous avez des amis dans le jeu qui ont déjà atteint la limite de niveau et si vous devez commencer depuis le tout début, c'est un peu décourageant. C'est donc un moyen rapide de les rattraper. Comme FFXIV est un épisode numéroté, l'histoire est au cœur du jeu, alors nous souhaitons que tous les joueurs puissent vivre et apprécier cette histoire. Mais nous savons aussi que c'est désormais un très long voyage. Ces options sont donc une sorte de "mesure d'urgence", si jamais vous voulez vraiment arriver le plus vite possible là où se trouve l'histoire actuellement.
Si nous faisions une version condensée, les gens auraient l'impression que FFXIV est un jeu dans lequel on peut avancer en vitesse accélérée dans le scénario et où l'histoire n'a finalement pas beaucoup d'intérêt ou de valeur. Ce que l'équipe de développement cherche à proposer à ceux qui commencent le jeu depuis le début, c'est un maximum d'aide et de soutien pour que leur progression soit la plus fluide possible.
J'ai vu certains joueurs dire qu'il faudrait repenser le format des mises à jour massives tous les 3 à 4 mois au profit d'ajouts plus petits et plus fréquents. Personnellement, ça me semble être une mauvaise idée. Est-ce quelque chose que vous envisagez ?
Naoki Yoshida : Ce n'est pas un sujet auquel réfléchit l'équipe de développement. Actuellement, FFXIV reçoit une nouvelle mise à jour majeure tous les 3 mois et demi environ, et aucun autre MMORPG ne propose un tel volume à chaque mise à jour en si peu de temps. De plus, nous avons mis en place ce calendrier de telle sorte que cela maximise l'efficacité du fonctionnement de l'équipe, et notamment des phases d'assurance qualité. C'est ce qui nous permet de proposer ces mises à jour fréquentes tout en conservant une qualité optimale. S'il fallait publier de petites mises à jour à intervalle plus régulier, nous devrions passer notre temps à faire du ping-pong entre le développement et l'assurance qualité, ce qui risquerait de réduire encore plus le volume des mises à jour.
Et puis aussi, les joueurs sont tous très occupés avec le travail, les études ou leurs autres activités, alors si nous devions publier de nouveaux contenus tous les 3 à 4 semaines, ils n'arriveraient pas à suivre. Les gros joueurs seraient sûrement contents, mais nous tenons absolument à prendre en compte tous les types de profils. Une dernière raison est que, s'il y a beaucoup de contenus dans une seule mise à jour, c'est beaucoup plus facile pour nous d'en faire la promotion. Il y a donc de nombreuses raisons qui font que nous ne changerons pas notre rythme de développement.
Aucun autre MMORPG ne propose un tel volume à chaque mise à jour en si peu de temps.
C'est rassurant. C'est vrai que le jeu a l'air plus généreux avec ces importantes mises à jour.
Naoki Yoshida : Cela dit, comme il peut arriver qu'il y ait une saturation de nouveaux contenus, nous faisons parfois le choix d'attendre un mois avant d'en intégrer certains. Par exemple, nous allons ajouter le mode JcJ Ailes rivales dans la mise à jour 4.15. Il nous arrive donc d'avoir recours à d'autres méthodes afin de donner aux joueurs des choses à faire dans l'intervalle entre deux mises à jour majeures.
Il est très compliqué de convaincre les fans de Final Fantasy qu'on peut globalement apprécier FFXIV comme un épisode en solo, et de les encourager à se lancer. Avez-vous une idée pourquoi c'est aussi difficile, ou des conseils à donner ?
Naoki Yoshida : Oui, c'est difficile... (Rires) C'est un défi auquel nous faisons face depuis le lancement d'A Realm Reborn. Tous ceux qui y jouent nous disent en effet que ce n'est pas très différent des Final Fantasy habituels. C'est le fait de franchir le pas qui est l'étape la plus difficile. Nous avons enlevé la limite de durée de notre version d'essai gratuite, nous le présentons en tant que véritable FF numéroté... Mais j'imagine que franchir le pas et essayer le jeu reste une décision individuelle. Actuellement, les gens ont l'impression que le "niveau d'entrée" dans un MMORPG est très élevé, ce qui les décourage sans doute à se lancer. Avec FFXIV, nous avons volontairement voulu donner l'impression que c'est un jeu à vivre seul, qui vous permet de suivre l'histoire à votre rythme. Bien sûr, pour les contenus instanciés, vous devez jouer avec d'autres personnes. Mais même pour cela, le système a été conçu afin de vous accompagner dans votre progression. L'idée que nous voulons renvoyer aux nouveaux joueurs est que ce n'est pas un jeu différent des Final Fantasy traditionnels.
L'une des solutions envisageables serait de mobiliser davantage la communauté de FFXIV. Qu'ils aillent dire aux autres : « Tu n'es pas un vrai fan de Final Fantasy si tu dis que tu n'as pas joué au XIV ! » (Rires) C'est la raison pour laquelle nous essayons de faire passer l'idée que FFXIV est un jeu auquel il faut absolument jouer. Ou alors, nous pourrions faire une version hors ligne de FFXIV, avec une limitation du style : « si vous voulez voir la suite de l'histoire, vous devez jouer au FFXIV normal. » Le tout en laissant les joueurs sur un cliffhanger, pour leur donner envie de passer à la version en ligne !
Ce serait cruel ! Tenez, en parlant de cruauté... L'abîme infini de Bahamut fatal en fait voir de toutes les couleurs aux joueurs. À l'heure où nous parlons, personne n'a encore réussi à le terminer [NDLR : la toute première compagnie libre en a finalement triomphé deux jours après notre interview]. Avouez-le... Vous savourez le moment.
Naoki Yoshida : Est-ce l'impression que vous avez ? Eh bien non, ce n'est pas le cas ! En fait, ce que nous n'avions pas du tout anticipé, c'est que les groupes qui essaient de relever le défi y passent des nuits entières et diffusent leurs tentatives sur Internet, et que plein d'autres joueurs viennent les regarder et les encourager. Pour nous, c'est quelque chose de très positif, qui valorise beaucoup les efforts investis par l'équipe de développement pour créer ces nouveaux contenus. Donc, nous sommes surtout satisfaits. Mais à en juger par la progression des différents groupes, la victoire n'est plus très loin. À partir de cette situation, le prochain défi de l'équipe est de choisir quel niveau de difficulté nous allons définir pour les futurs combats de type fatal. Vous savez, c'est très facile de concevoir des contenus absolument impossibles à réussir. C'est beaucoup plus difficile de créer des contenus qui ont l'air insurmontables, mais dans lesquels on sent qu'on peut y arriver. C'est aussi pour ça que j'espère vraiment qu'ils vont réussir !
Merci à Kelly et Alexandre de Square Enix d'avoir rendu cette interview possible.
Propos recueillis par Bastien Péan pour Final Fantasy Ring