C'est une fois de plus à un véritable morceau d'histoire auquel Square Enix s'attaque en publiant ce mois-ci Chrono Cross: The Radical Dreamers Edition, version moderne d'un RPG culte qui n'avait jusqu'à présent jamais officiellement rencontré le public européen. Alors que d'insistantes rumeurs prétendaient qu'un remake intégral était en cours de développement, c'est finalement une version remasterisée du titre paru en 1999 sur PlayStation au Japon (et l'année suivante en Amérique du Nord) qui débarque cette semaine sur PlayStation 4, Xbox One, Steam et Nintendo Switch. Un saut dans le temps avec son lot de bonnes surprises... et de défauts directement hérités d'un autre millénaire.
Cross générations
La sortie de Chrono Cross: The Radical Dreamers Edition peut paraître anodine, notamment aux yeux des japonais et des américains déjà intimes depuis plus de 20 ans avec son casting coloré, mais il s'agit en réalité d'un événement qui devrait marquer la communauté des amateurs de RPG japonais sur le Vieux Continent. En effet, jusqu'à ce jour, seuls les joueurs familiers avec l'import (ou l'émulation) avaient eu l'occasion de se plonger corps et âme dans cette « suite » si particulière du jeu culte Chrono Trigger. En resortant ce grand classique de ses archives, et à l'image de Legend of Mana paru l'année dernière, Square Enix tente de se faire pardonner de cette injustice en intégrant une localisation française inédite et soignée. Celle-ci permet d'apprécier à sa juste valeur l'histoire écrite par Masato Katô (rencontré sur Final Fantasy XI, Xenogears, ou encore Baten Kaitos), les aspérités et l'excentricité des quelques 45 personnages et créatures jouables rencontrés au long de l'aventure. Le soin apporté à la traduction est d'autant plus appréciable que Chrono Cross embarque les joueurs dans un voyage inter-dimentionnel plein de nuances jonglant souvent entre poésie et pessimisme.
S'il entretient des liens évidents avec son grand frère, notamment par le biais de l'épisode Radical Dreamers (voir l'encadré), Chrono Cross est une expérience unique qui peut tout à fait être appréciée par un néophyte. Les quelques 30 heures nécessaires à une première partie mettent en scène Serge, un adolescent de 17 ans subitement parachuté dans un univers parallèle de prime abord identique au sien. À un premier détail près : le Serge de cette dimension serait mort il y a dix ans. Ainsi commence une longue épopée à travers l'archipel d'El Nido au cours de laquelle le jeune garçon, qui restera muet du début à la fin, devra percer le mystère de ces deux mondes à l'équilibre fragile. Un peu de curiosité et de patience viendront récompenser les joueurs friands d'exploration et de quêtes secondaires : Chrono Cross renferme de nombreux secrets tout en restant discret à leur sujet, si bien qu'il est possible de passer à côté de nombreuses rencontres.
Radical Dreamers
Une générosité inattendue ! Cette réédition de Chrono Cross inclut également Radical Dreamers, un jeu textuel sorti en 1996 au Japon sur Stellaview, un accessoire de la Super Famicom aujourd'hui obsolète permettant de télécharger des jeux via une connexion satellite. Véritable transition entre les deux aventures imaginées par Masato Katô, Radical Dreamers est en quelques sortes une ébauche de ce que deviendra plus tard Chrono Cross. Ces quatre heures bonus sont un brin austères, mais il est réjouissant de voir Square Enix démocratiser son patrimoine.
Éloge de la paresse
Comme la plupart des grands RPG qui ont abreuvé la PlayStation à la fin des années 90 puis au début des années 2000, Chrono Cross juxtapose des modèles 3D de personnages sur de somptueux décors 2D, à l'instar de Final Fantasy VII, VIII et IX. Il est possible, pour qui voudrait garder intactes les sensations de l'époque, d'expérimenter la version originale (et pixellisée) du jeu. Cela n'a malheureusement pas beaucoup d'intérêt tant le résultat est abrupte sur un écran 4K, c'est pourquoi The Radical Dreamers Edition propose une version moderne aux décors qui se montrent beaucoup plus convainquants que ceux de Final Fantasy VIII Remastered mais qui se contentent d'un lissage numérique un peu paresseux, efficace mais parfois brouillon. Les nombreuses illustrations des personnages, elles, n'ont pas seulement été agrandies mais bel et bien entièrement redessinées par l'artiste d'origine, Nobuteru Yûki. Elles conservent leur charme tout particulier tout en s'accordant harmonieusement avec les nouveaux modèles 3D utilisés en combat comme lors des phases d'exploration. On ne peut pas en dire autant des cinématiques en 3D pré-calculées qui comme à leur habitude n'ont pas pu bénéficier du même soin. Pixellisées et baveuses, ces séquences à la direction artistique et à la réalisation pourtant superbes pour l'époque accusent difficilement le poids des années. On s'étonnera enfin de voir que la version Switch, qui fait l'objet de ce Test, souffre de quelques ralentissements et autres latences dans les menus que l'on espère voir corrigés prochainement à l'occasion d'une mise à jour.
En l'absence de didacticiel y compris dans cette nouvelle version, le système de combat de Chrono Cross peut sembler difficile d'accès si l'on ne se documente pas un minimum sur ses subtilités. En effet, il ne repose pas sur une classique barre ATB mais sur des Points d'Action mêlés à une probabilité de réussite de chaque coup à géométrie variable, qui influe également sur l'utilisation des Éléments magiques. Une fois les bases maîtrisées — n'hésitez pas à consulter un guide — et en prenant le temps d'équiper chaque personnage convenablement selon ses affinités, on comprend que de grandes batailles stratégiques nous attendent (avec une poignée de boss plus coriaces) ; même s'il faudra finir par accepter les interfaces rudimentaires de l'époque, pas toujours très claires. Pour aider les nouveaux joueurs et accélérer les séquences les plus pénibles, Square Enix propose désormais un mode rapide ainsi que des options d'accessibilité pour désactiver les rencontres aléatoires ou combattre automatiquement. Hérésie pour certains, bonne idée pour d'autres : les héros de Chrono Cross ne collectant de l'expérience qu'au cours des combats de boss, vous serez peut-être tenté de céder aux sirènes de la modernité par moments. Il ne faudrait pas en abuser, car faire l'impasse sur un combat de Chrono Cross, c'est rater une occasion d'entendre l'une des fantastiques mélodies composées par Yasunori Mitsuda dont la grande majorité est restée intacte à la demande de l'artiste. Après tout, pourquoi dénaturer une bande originale quand celle-ci figure parmi les plus acclamées de l'histoire du jeu vidéo japonais ?
Les jeunes joueurs auront certainement du mal à se plonger dans Chrono Cross qui, en dépit d'une histoire toujours prenante et colorée, peut intimider avec son système de combat loin d'être conventionnel et ses nombreux secrets bien gardés. Malgré un joli travail de modélisation 3D, ce portage assez rudimentaire, d'abord pensé pour les nostalgiques de cette époque où l'Europe était la cinquième roue du carosse, est pourtant l'occasion idéale de découvrir pour la première fois ce grand jeu intégralement traduit en français et subtilement restauré... À condition de faire abstraction des saccades réccurentes et des menus à l'ergonomie et aux latences agaçantes.
Jeu testé à partir d'une version Nintendo Switch fournie par Square Enix.