Confiné au Japon depuis sa sortie en 1994 sur Super Famicom, Live A Live est certainement l'un des RPG de Squaresoft que personne n'avait imaginé faire son retour une trentaine d'années plus tard. Et pourtant, c'est bel et bien ce premier jeu bizarre réalisé par Takashi Tokita (plus tard aux commandes de Chrono Trigger et Parasite Eve) qui se paye en juillet 2022 un petit voyage dans le temps pour revenir sur Nintendo Switch. Traduction française, doublage, réalisation HD-2D : Nintendo et Square Enix font preuve d'une générosité qui force le respect pour dépoussiérer ce qui restera probablement l'un des jeux les plus excentriques du patrimoine ludique du studio. Ce qui était original au milieu des années 90 fait-il encore mouche en 2022 ?
Live 7 Lives
Loin des conventions imposées par le jeu de rôle japonais, le début de l'aventure Live A Live est particulièrement déconcertant pour qui n'aurait jamais entendu parler du titre auparavant. Pas de réveil d'un jeune héros en soif d'aventure ni d'amnésie inexpliquée au programme mais un simple écran d'accueil demandant au joueur de choisir une époque parmi les 7 qui composent cette expérience. Ce sont donc 7 groupes de personnages, 7 histoires et 7 univers différents que le joueur peut parcourir dans l'ordre de son choix, conférant à Live A Live une aura d'aventure a priori sans structure ou socle narratif solide. Bien sûr, une pirouette finale viendra récompenser la vingtaine d'heures passées en compagnie des 7 mercenaires : deux chapitres de conclusion, dont un réunissant le casting au complet, pour tenter d'expliquer sans grand effet de surprise le lien entre tous ces destins d'apparence lointains.
Du Far-West à la Chine Impériale en passant par le Présent, les 7 épisodes, qui se dégustent comme on consommerait une série à raison d'un chapitre par jour, proposent tous une idée forte et unique. Certains chapitres tentent l'infiltration labyrinthique à en tourner en rond de désespoir malgré l'ajout d'une carte pour ce remake, d'autres misent sur une expérience à 99% narrative aux confins de la galaxie, ou encore l'exact opposé : une sorte de boss rush avec un habillage typique des jeux de combat Arcade des années 90 — pour ne pas dire Street Fighter. Faisant presque penser à une compilation de game jam, avec un générique à chaque début et fin de chapitre, Live A Live a de quoi destabiliser. Parce qu'il pioche ses inspirations dans un vaste catalogue de pop culture et qu'il s'essaye à plusieurs genres, tout n'est malheureusement pas réussi, à l'image du chapitre préhistorique et son humour qui l'est tout autant, mais il est assez satisfaisant de réaliser que trente ans plus tôt un tel ovni ait pu naître dans les bureaux de Squaresoft.
Active Tactical Battle
Bien que les ambiances soient très différentes d'une histoire à l'autre — avec un coup de cœur personnel pour le Far-West et le Futur Lointain — le système de combat de Live A Live est le fil conducteur de l'ensemble des chapitres, à quelques détails près. Alors que le système ATB faisait des miracles à la même époque chez Final Fantasy V et VI, Live A Live opte pour un mélange entre le tour par tour et la stratégie. Une mécanique de jeu où le timing et le placement des personnages est la clé pour parvenir à ses fins. Tous les combattants, alliés comme ennemis, disposent d'une jauge qui une fois pleine leur permet d'effectuer n'importe quelle action avec une attente plus ou moins longue selon les attaques. À chaque déplacement d'un personnage sur le damier qui compose l'aire de combat, les ennemis voient leur jauge d'action se remplir : comme dans un jeu d'échecs, il faut donc faire preuve de ruse, de prudence, et profiter des faiblesses de chacun, des attaques de zones et des pièges laissés au sol après certaines attaques (magiques par exemple), sans oublier que certaines joutes peuvent prendre fin plus rapidement en s'attaquant directement au leader du groupe.
Le principal écueil du système, au-delà de sa relative simplicité, provient du manque d'équilibre de l'ensemble : certains chapitres ne proposent qu'une poignée de combats bouclés en 30 secondes les yeux bandés, d'autres se révèlent beaucoup plus cruels et nous ramènent aux heures les plus sombres des années 90 : les phases de levelling forcées qui auraient mérité un franc dépoussiérage. Sur le champ de bataille, la vue aérienne offre de jolies perspectives mettant à l'honneur de splendides (et gigantesques) sprites d'ennemis ou de boss. Il faut dire que pour ce remake HD-2D, Square Enix et historia Inc ont redoublé d'efforts pour donner une toute nouvelle dimension à un Live A Live pourtant déjà techniquement solide à sa sortie en 1994.
Coloré, surprenant lors de certains choix de mise en scène qui s'autorisent des plans amusants dans les décors 3D, lumineux lors des attaques les plus ravageuses, ce Live A Live cuvée 2022 est sur le plan technique un élève modèle qui, on l'espère, servira de mètre étalon pour les futurs projets du genre, qui se multiplieront si l'on en croit les déclarations de Yosuke Matsuda. Les oreilles se régalent également des compositions exquises de Yôko Shimomura, intégralement réorchestrées pour l'occasion, avec de véritables pépites grandiloquentes comme "Gigalomania", ou encore des hommages au chant teinté de nostalgie comme "Go! Go! Buriki Daiô!!".
Quelque part entre deux époques, cette version contemporaine de Live A Live fait preuve d'un respect exemplaire de l'œuvre originale en la sublimant avec une esthétique qui fait encore mouche aujourd'hui, même après des dizaines d'heures passées à contempler Octopath Traveler et Triangle Strategy. Malgré quelques mécaniques archaïques et punitives que l'on aurait aimé ne plus revoir, deux chapitres moins séduisants, une dernière ligne droite en deçà et un humour parfois discutable, les 25 heures nécessaires à l'exploration des 7 aventures et de leur conclusion se grignottent avec plaisir sur la petite portable de Nintendo. Live A Live est un jeu d'auteur à ne pas mettre entre toutes les mains, mais il est le vestige d'une époque lointaine, dorée et prolifique, restauré comme si c'était hier.
Jeu testé à partir d'une version Nintendo Switch fournie par Nintendo.