S'il y a bien un jeu que personne n'avait imaginé faire son grand retour dans le catalogue de Nintendo, c'est bien lui. Publié en 1996 au Japon, soit entre l'incontournable Chrono Trigger et le révolutionnaire Final Fantasy VII, Super Mario RPG est le dernier véritable grand jeu de Square à être paru sur une console Nintendo, la Super NES, avant le divorce entre les deux sociétés et la nouvelle romance avec Sony et sa PlayStation. La sortie de ce remake est d'autant plus étonnante que cette aventure bizarre mêlant l'univers de Mario à l'expertise RPG des créateurs de Final Fantasy n'a jamais été officiellement localisée en Europe. La bonne étoile de Nintendo brille-t-elle encore 28 ans plus tard ?
Drôle Playing Game
Ceux qui ont déjà exploré le catalogue de la Console Virtuelle de la Wii ou allumé ne serait-ce qu'une seule fois leur Super Nintendo Mini achetée à prix d'or pour finir sur une étagère pleine de poussière sont déjà au courant : Super Mario RPG: Legend of the Seven Stars est une curiosité qui, en 1996 déjà, avait la réputation d'un jeu étrange sur le papier et presque dérangeant à l'écran. Car derrière ce début de l'aventure invoquant tous les archétypes de n'importe quel jeu estampillé Mario qui se respecte, à commencer par la capture de la Princesse Peach, se cache un concentré de situations absurdes, de personnages au design abracadabrant et une réalisation 3D isométrique surprenante. Parmi les libertés que se sont accordées les scénaristes figure la coalition inattendue avec le vilain Bowser, dépossédé de son château, qui rejoint rapidement l'équipe pour tenter de venir à bout de la Bande de Forgeroi qui sème la pagaille au Royaume Champignon. Déconstruire cet univers bien connu tout en conservant l'imagerie colorée du style Nintendo, c'est la mission remplie avec brio par Square dans Super Mario RPG, malgré deux personnages originaux (Mallow et Geno) moins attachants que le trio iconique, et des boss au design particulièrement repoussant, comme les années 90 en avaient le secret.
Au cours des 13 heures nécessaires à afficher les crédits de fin du jeu, Super Mario RPG se distingue également par un humour omniprésent, qui emprunte autant aux films muets — Mario ne dit pas un mot de l'aventure — qu'au théâtre — les dialogues et sont régulièrement ponctués de mimiques très caricaturales et les personnages sont poussés sur scène sur les écrans de gain de niveau. Les environnements et PNJ hauts en couleur participent à cette ambiance chaleureuse et décalée servie par une réalisation d'une propreté exemplaire. Il s'agit là d'un remake d'une fidélité remarquable, où chaque séquence, chaque animation, chaque détail a été retravaillé au pixel près par les petits artisans du studio japonais ArtePiazza (Dragon Quest IV, V et VI sur Nintendo DS) en charge de cette nouvelle version. Yōko Shimomura, compositrice des musiques originales, signe également une superbe réorchestration des mélodies cultes de l'aventure, ainsi que quelques reprises de la saga Super Mario Bros. pour coller à l'univers. Alors, un sans faute ? On pourrait bien signaler des ralentissements gênants dans les zones un peu trop chargées pour cette bonne vieille Switch, mais il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas saluer les grandes qualités techniques et artistiques de cet ovni vidéoludique, présenté ici dans un bel écrin.
Pépère Mario
Esquisse de ce qui deviendra ensuite la prestigieuse saga Paper Mario (puis Mario & Luigi un peu plus tard), Super Mario RPG introduit des mécaniques de J-RPG inédites dans l'univers du plombier tout en conservant quelques passages « plate-forme » nécessitant un peu d'adresse, surtout avec cette vue isométrique où les ombres servent de précieux repères. Inutile de sauter sur le premier Goomba rencontré sur la carte : c'est au tour par tour qu'il faudra en découdre, même si le saut de Mario est une compétence clé tout au long de l'aventure et un talent que jalousent certains habitants. L'équipe est composée de cinq personnages mais seulement trois d'entre-eux peuvent simultanément faire face aux adversaires ; les deux réservistes peuvent « gratuitement » et à n'importe quel moment du combat remplacer un autre membre, ils reçoivent d'ailleurs autant d'expérience que les combattants. Devenu culte (et longtemps réclamé à corps et à cris par les fans américains dans Super Smash Bros. Ultimate), Geno, un pantin de bois largement inspiré de Pinocchio, est peut-être le plus puissant des aventuriers avec son attaque Tempête Geno dévastatrice disponible dès le niveau 11. Mario est l'archétype du héros équilibré, doté de quelques coups efficaces, tandis que Peach aura toujours une place de choix en tant que soigneuse. Bowser est une brute épaisse et Mallow, le nuage qui se prenait pour un têtard, un mage utile face aux ennemis résistants aux attaques physiques. Cette diversité idéale permet de se sortir aisément de toutes les situations et ce sans effort.
C'est d'ailleurs le principal reproche que l'on peut faire à Super Mario RPG : sa simplicité déconcertante pour les habitués du genre. Le système d'évolution est basique au possible, les ennemis et les boss assez inoffensifs, la gestion de l'équipement très sommaire, les attaques à 3 dévastatrices... Heureusement, la nécessité de toujours appuyer en rythme sur une touche lors d'une attaque ou d'un coup encaissé pour cumuler les combos vient pimenter le gameplay. En définitive, il s'agit d'une formidable introduction au genre, parsemée de nombreuses activités et mini-jeux qui confèrent à l'aventure une atmosphère et une richesse incontestables, malgré une durée de vie limitée. Le challenge commence véritablement face aux boss cachés — dont un magnifique hommage, graphique comme musical, à la série Final Fantasy — ainsi qu'au cours du post game qui propose de combattre une nouvelle fois certains boss devenus bien plus redoutables, puis un ultime boss particulièrement humiliant, nécessitant que tous les personnages aient atteint le niveau 30. Un sacré challenge comparé à la promenade de santé qui le précède !
Avec sa localisation française impeccable, sa réalisation soignée et son design proche des dernières productions de Nintendo, ce remake plus sage de Super Mario RPG se démarque de l'image farfelue que renvoyait la version Super NES. L'histoire est simpliste mais portée par une ambiance chaleureuse, des dialogues amusants et des mini-jeux qui apportent une belle diversité à cette aventure d'une douzaine d'heures facturée 60€ tout de même. Très accessible, il constitue un très bon « premier J-RPG » quitte à laisser sur le bord de la route les amateurs du genre qui ne trouveront d'intérêt que dans le post-game. Un morceau d'histoire dispensable mais refaçonné avec grand soin, idéal pour patienter avant le retour attendu de Paper Mario : La Porte Millénaire en 2024.
Jeu testé à partir d'une version Switch fournie par Nintendo.