Si la bande originale de Nier est aussi réussie, on le doit aussi bien aux compositeurs de MoNACA qu'à la chanteuse qu'ils ont choisie pour ce projet : Emi Evans. Sa voix contribue évidemment beaucoup à l'atmosphère si captivante du titre, mais elle a également été chargée d'écrire toutes les paroles de ces chansons dans des langages inventés. Le site Original Sound Version a eu la bonne idée de réaliser une interview très intéressante de l'artiste, notamment sur son travail pour Nier. Notez que notre traduction se limite aux questions relatives au jeu : pour en savoir plus sur Emi Evans elle-même, nous vous invitons à lire l'interview complète en anglais, ou à faire un tour sur son site officiel.
Comment avez-vous été contactée pour travailler sur Nier ? Était-ce Square Enix, cavia ou l'équipe de MoNACA qui vous a approché ?
Emi Evans : À la fin de l'automne 2008, j'ai reçu un coup de fil inattendu de la part d'un assistant de MoNACA. Quelques mois auparavant, j'étais à la fête d'un ami et j'ai eu l'occasion de discuter avec le DJ, qui avait l'air plutôt cool. Je lui ai donné une copie de l'album de mon groupe freesscape, et nous avons échangé nos coordonnées. Il se trouvait que le DJ en question était un ami de l'assistant de MoNACA. Alors quand ce dernier lui a demandé s'il connaissait une chanteuse anglaise, il lui a parlé de moi.
Au départ, ils m'avaient contactée parce qu'ils avaient besoin d'une chanteuse pour un projet pour Dance Dance Revolution. Mais quand le compositeur en chef de MoNACA, Keiichi Okabe, a écouté mon CD, il a dit que je ne correspondais pas à ce qu'ils cherchaient. Mais il aimait ma voix, et il pensait faire appel à moi dans le futur pour un autre projet. Et cet autre projet, c'était Nier !
Quand vous avez été engagée, saviez-vous dès le début que vous alliez devoir écrire des paroles dans des langues inventées ? Aviez-vous déjà une expérience dans ce genre de travail, et était-ce particulièrement dur ?
Emi Evans : Dès notre première réunion pour Nier, on m'a demandé d'écrire toutes les paroles dans des langues futuristes inventées, en plus de chanter. Je n'avais aucune expérience pour ce genre de chose, mais j'ai toujours aimé chanter dans différentes langues. À la chorale de l'église et à l'école, on chantait en latin, en allemand, en français et en italien, et j'ai grandi en écoutant des chansons japonaises pour enfants que je ne comprenais pas mais que j'adorais chanter. Je trouvais cela très amusant de reproduire des sons qui m'étaient étrangers. Alors l'idée de pouvoir inventer et chanter dans différents langages, et pas qu'un seul, m'attirait tellement que j'ai sauté sur l'occasion. C'était parfois assez difficile, mais c'était surtout très prenant !
Comment avez-vous procédé pour inventer ces langues, et combien en avez-vous conçues ? Est-ce que les mots ont un sens précis pour vous et pour l'équipe ?
Emi Evans : MoNACA m'envoyait des arrangements provisoires des chansons : un, deux ou trois à la fois. Ils me donnaient aussi des instructions sur le genre de langage qu'ils voulaient. Par exemple, "Kainé" devait être dans un langage ressemblant au gaélique, "The Wretched Automatons" dans un anglais futuriste et "Grandma" dans un français futuriste.
Au final, j'ai écrit des chansons dans huit langages basés sur le gaélique, le portugais, l'espagnol, l'italien, le français, l'anglais et le japonais. Je cherchais des extraits de leçons pour ces langues sur internet, et je les écoutais en boucle pour m'imprégner des sons et du rythme. J'écrivais aussi certains passages pour m'aider un peu plus. Ensuite, ce n'était plus qu'une question d'imitation du rythme et des sons pour accompagner la mélodie.
La seule chanson qui utilise une langue entièrement inventée est "Song of the Ancients". C'était la première que j'avais écrite, et je n'avais aucune directive particulière si ce n'est : "langage imaginaire". Je pense qu'à ce stade du développement, personne ne savait vraiment comment s'y prendre pour créer ces langages, alors ils m'ont laissé me débrouiller pour voir comment je m'en tirais !
Pour cette chanson en particulier, j'ai écouté autant de langues différentes que possible sur Youtube, et je me suis inspirée un peu de chaque pour toutes les mélanger. J'étais contente du résultat, mais je ne savais vraiment pas comment j'allais pouvoir continuer à créer d'autres langues toutes différentes. J'étais très soulagée quand MoNACA a commencé à me donner des instructions plus précises. Comme Nier se situe dans le futur, l'équipe voulait que j'imagine comment seraient nos langues d'aujourd'hui après des milliers d'années. À l'exception de "Song of the Ancients", au lieu de créer un langage complètement nouveau pour chaque chanson, j'ai pris une langue déjà existante et je l'ai manipulée pour la vieillir de quelques milliers d'années.
La chanson thème "Ashes of Dreams" mise à part, les paroles n'ont pas de sens particulier. Elles servent simplement à créer une atmosphère spéciale. Pour "Ashes of Dreams", le réalisateur du jeu, Taro Yoko, m'a donné une liste de mots japonais qu'il voulait que j'utilise. Je les ai traduits en anglais, en gaélique et en français, et je les ai éparpillés dans chaque chanson en les modifiant légèrement pour qu'ils aient toujours du sens pour moi et pour l'équipe. Si vous écoutez la version anglaise de "Ashes of Dreams", vous saurez de quoi je parle dans les autres versions aussi !
Aviez-vous des artworks conceptuels, des vidéos de gameplay ou des scripts pour vous aider ? Avez-vous travaillé directement avec les compositeurs en studio, ou est-ce que vous travailliez beaucoup seule de votre côté ?
Emi Evans : Au départ, on m'a raconté l'histoire dans les grandes lignes, et on m'a montré une courte vidéo montrant Devola et Popola. Pour le reste, je me suis aidée du site officiel de Nier. C'est à peu près tout ce que j'avais pour travailler. On m'envoyait les fichiers des chansons, et j'écrivais les paroles chez moi. J'allais ensuite en studio pour enregistrer les chansons avec Keiichi Okabe.
J'avais généralement un ou deux jours pour travailler sur mes paroles après avoir reçu les musiques provisoires (les plannings étaient très stricts), et M. Okabe faisait de son mieux pour me décrire le genre de scène dans laquelle serait utilisée la chanson. C'était difficile parce qu'il ne le savait pas vraiment, alors il ne pouvait que me dire des choses vagues comme "c'est une grande étendue verte et reposante, et puis il y a un grand combat", ou "c'est une montagne de métal et puis il y a un grand combat". Tout se terminait par un grand combat ! Alors c'était assez difficile de savoir quelle émotion je devais retranscrire... Et pour compliquer encore les choses, les arrangements étaient souvent très provisoires ou de simples prototypes, alors il était difficile de s'imprégner d'une atmosphère précise pour avoir une idée de la façon dont il fallait chanter. Tout ce que j'avais pour m'inspirer, c'était les mélodies (qui étaient magnifiques), et le style de la langue inventée dans laquelle je devais chanter.
M. Okabe a été très compréhensif, et il m'a laissé chanter ma propre interprétation de chaque mélodie. Il me disait simplement parfois "j'aimerais que tu chantes doucement mais intensément dans ce passage", ou "c'est le point culminant, alors tu dois chanter fort". Je devais juste utiliser mon imagination ou décider moi-même des émotions à retranscrire. J'étais intéressée d'apprendre ensuite que les compositeurs écoutaient mes chants et basaient souvent leurs arrangements sur ma voix.
"Hills of Radiant Winds" est une chanson très entraînante et légère. Que pouvez-vous nous dire sur son sens ?
Emi Evans : Je me rappelle avoir écouté un prototype de cette chanson et me dire à quel point la mélodie était légère est excitante. On m'a demandé d'écrire des paroles dans une langue inspirée du portugais, et je pense que ça correspond très bien à l'ambiance de la chanson.
J'ai bien peur de ne pas pouvoir dire grand chose au sujet du sens de la chanson. Comme je l'ai dit, je n'avais pas grand chose à ma disposition, si ce n'est mon imagination, pour travailler sur les chansons. Cependant, pendant l'enregistrement, M. Okabe a mentionné le mot "vent", alors j'ai imaginé ma voix comme un esprit libre porté par le vent. J'étais très heureuse de l'arrangement final de cette chanson, puisque c'est exactement ce qu'il évoque, et même plus encore.
L'une des chansons les plus touchantes de cet album est "Grandma". Il y a une certaine élégance qui se dégage du piano, et les paroles que vous avez créées semblent basées sur le latin. Sans en révéler trop sur l'histoire, pouvez-vous nous dire ce que vous vouliez retranscrire avec cette chanson ? Est-elle particulièrement mémorable pour vous ?
Emi Evans : Oui, j'adore cette piste et c'est sans conteste l'une des chansons les plus mémorables sur lesquelles j'ai travaillé ! Je n'avais pas réalisé qu'ils l'avaient appelée "Grandma", d'ailleurs.
Les paroles sont basées sur le français. Comme j'avais appris cette langue à l'école, j'avais pas mal de restes dans un coin de ma tête, et j'avais peur d'utiliser par accident de vrais mots. J'ai donc demandé à des amis français d'écouter mes paroles, et ils m'ont assuré que même si ça sonnait français, ça n'avait aucun sens !
C'est l'un des morceaux pour lesquels M. Okabe m'a donné des directives précises. Il m'a dit qu'à un certain point dans le jeu, il y a un boss très fort à battre, qui distrait et affaiblit sa proie en faisant remonter ses souvenirs les plus douloureux à la surface. Alors quand j'ai enregistré la chanson, j'ai essayé d'y mettre autant d'angoisse et de mélancolie que possible. C'était si naturel de la chanter de cette façon, et je pense qu'il n'a suffi que d'une prise.
Si cette chanson est particulièrement mémorable, c'est parce qu'en l'espace de dix minutes, elle est passée d'un morceau pour lequel j'avais écrit des paroles à la dernière minute sans savoir ce que ça allait donner, en une chanson vraiment magnifique et touchante qui me donnait des frissons.
"Song of the Ancients" est aussi une magnifique chanson. Il y a un passage où la langue dans laquelle vous chantez sonne presque chinoise. Pouvez-vous nous parlez de ce morceau ? Avez-vous une version préférée sur les quatre que vous avez enregistrées ?
Emi Evans : Vous avez raison, c'est un morceau vraiment beau. Comme je l'ai dit, c'est la chanson qui n'est pas basée sur une langue particulière, j'ai simplement écouté plein de langues différentes sur Youtube (mais pas le chinois) pour les mélanger. Je savais que c'était une chanson que les jumelles chanteraient ensemble et séparément dans différentes versions, et qu'elles avaient une histoire très triste. J'ai un faible pour cette chanson, puisque c'est la première sur laquelle j'ai travaillé.
Je me rappelle avoir pris très timidement des sons et du vocabulaire swahili, hongrois, allemand, africain pour les modifier, avec l'impression de faire quelque chose d'indécent et d'immoral en les mélangeant. Mais lors de l'enregistrement, et à mesure que je me familiarisais avec les sons qui sortaient de ma bouche, j'ai chanté avec de plus en plus de conviction jusqu'à ce qu'ils deviennent une véritable langue pour moi, et j'avais l'impression d'avoir fait une véritable découverte. Je pense que ma version préférée est "Hollow Dreams", j'adore ce piano très jazzy et cette atmosphère reposante et triste à la fois.
"The Wretched Automatons", quant à elle, a un côté électronique. Était-ce un morceau intéressant à travailler compte tenu du contraste avec les autres chansons de l'album ?
Emi Evans : C'est l'une de mes chansons préférées de la bande son, et celle dans laquelle j'ai chanté en anglais futuriste. L'anglais étant ma langue maternelle, c'était très étrange !
Je ne savais pas ce que ça allait donner avant d'écouter la bande son finalisée. Quand je l'ai enregistrée, il n'y avait pas encore ces sons métalliques, c'était un prototype très simple et dépouillé. J'ai été agréablement surprise par l'arrangement final, c'est sans conteste l'une des pistes les plus cools de la bande-son.
Les deux thèmes de Kainé sont aussi intéressants. Où avez-vous puisé l'inspiration pour la langue de ces deux morceaux ? Était-il amusant de retravailler vos paroles pour coller à la version "Escape", qui est bien plus rapide ?
Emi Evans : "Kainé" est basée sur le gaélique, et je me rappelle avoir cherché une langue jolie et douce pour cette chanson. Quand j'ai demandé quelle sorte de personnage était Kainé, on m'a répondu qu'elle était un peu une garce, et qu'elle était très grossière. J'étais plutôt surprise, parce que son thème est si beau ! Et oui, c'était amusant de faire également une version plus rythmée. La version "Salvation" était la deuxième chanson que j'ai enregistrée pour ce projet, tandis que "Escape" a été enregistrée vers la fin. À ce stade, j'étais tellement habituée à entendre le thème de Kainé sur le site officiel du jeu que c'était vraiment facile et amusant de se lâcher pour une version plus rapide.
Il y a quatre versions différentes de "Ashes of Dreams", chacune dans un langage moderne différent : le français, le gaélique, le japonais et l'anglais. Etiez-vous contente de pouvoir enfin vous exprimer dans une langue que le joueur comprendrait ?
Emi Evans : Écrire des paroles en anglais était la tâche la plus difficile de tout le projet ! À l'origine, je devais l'écrire en anglais futuriste, mais je pensais que la bande originale devait contenir au moins une "vraie" langue, alors j'ai convaincu Square Enix de me laisser essayer ! C'est la dernière chanson que j'ai enregistrée pour ce projet, et la plus difficile de toutes ! J'avais beaucoup de pression parce que je devais écrire des paroles de qualité en anglais, et je ne pouvais plus me cacher derrière mes langages mystérieux. Elle devait être terriblement triste, sans la moindre touche de bonheur ou d'espoir.
Quand j'ai commencé à écrire les paroles, je me trouvais sur l'île d'Okinawa. Le paysage était tellement somptueux que je n'arrivais pas à trouver l'inspiration pour écrire des paroles noires ! L'enregistrement devait se faire le lendemain, mais j'ai dû demander plus de temps. La semaine suivante, je suis retournée en Angleterre et j'espérais que le mauvais temps m'aiderait. Avec l'aide de mon père, j'ai écrit les paroles les plus tristes que je pouvais imaginer, et je les ai envoyées à MoNACA. Mais de retour à Tokyo, l'équipe m'a rappelé en me disant qu'elles n'étaient pas assez tristes, et que je devais les réécrire pour le lendemain ! J'étais tellement fatiguée par mon vol, mais j'ai dû passer toute la nuit sur mon ordinateur, transformer la tristesse en désespoir le plus total et enlever tout ce qui pouvait être interprété comme de l'espoir.
C'était vraiment dur ! J'étais exténuée pendant plusieurs jours après ça, mais peut-être que mon petit épisode de souffrance était tout ce dont j'avais besoin pour créer des paroles vraiment satisfaisantes !
Pour aller plus loin...
Si vous n'avez toujours pas mis la main sur l'excellente bande originale de Nier, sachez qu'elle est disponible sur iTunes pour une quinzaine d'euros. Et sur une autre note, le 28 mai sera publié le guide officiel japonais de Nier, intitulé GRIMOIRE NieR. L'ouvrage s'annonce ultra-complet, puisqu'en plus du cheminement complet de l'aventure et des activités annexes, il contiendra également une analyse de l'histoire et des personnages, des artworks conceptuels et des illustrations, et des nouvelles écrites par la scénariste Sawako Natori.
Le titre suscite visiblement un certain engouement au Japon, puisque le guide s'est retrouvé directement en première place des ventes de livres sur la branche japonaise d'Amazon. Quant au jeu en lui-même, il se maintient cette semaine en dixième place des ventes nippones dans sa version RepliCant, avec 97.000 exemplaires vendus au total. En revanche, pas de trace de la version Gestalt dans le top 50, qui se trouve certainement juste en-dessous de la barre des 20.000 copies écoulées depuis sa sortie.