Comment Final Fantasy XV passe à côté de son histoire
Il y a exactement un mois, Final Fantasy XV se libérait d’un lourd fardeau : celui d’être l’une des arlésiennes les plus capricieuses de l’industrie du jeu vidéo. Dix ans après son annonce, Final Fantasy Versus XIII devenu XV pouvait enfin tenter de séduire les joueurs pour ce qu’il est vraiment, et non pour ce que les développeurs voulaient bien laisser entrevoir lors des conférences et des bandes-annonces. Un mois, c’est également le temps qu’il m’a fallu pour terminer l’aventure à deux reprises : une première fois pour les besoins de mon test complet, puis une seconde pour décortiquer en profondeur ce qu’Hajime Tabata a tenté de mettre dans les tripes de ce Final Fantasy maudit. Cette seconde partie n’aura pas été vaine : elle m’a conforté dans l’idée que dans son dernier tiers, Final Fantasy XV passe complètement à côté de son scénario et de son univers pourtant si prometteur.
Cet article se focalise sur la narration et le scénario de Final Fantasy XV.
Il contient donc de nombreux spoilers majeurs.
Le blu-ray du roi maudit
La première erreur commise par Hajime Tabata est d’avoir accordé trop d’importance à Kingsglaive, au point d’en faire un film indispensable à la compréhension du jeu. L’intention et le timing était pourtant judicieux : Kingsglaive devait être l’élément déclencheur de Final Fantasy XV, comme une sorte de prologue avec un point de vue inédit, celui du Roi Regis et l'unité d'élite chargée de sa protection. Bien qu’un peu épileptique lors des combats — comme pouvait l’être Advent Children en son temps — l’œuvre de Takeshi Nozue est assez remarquable, car elle traduit parfaitement les ambitions machiavéliques de l’Empire ennemi, et particulièrement de l’empereur Iedolas Aldercapt, qui sera ensuite totalement absent de l’aventure (j'y reviendrai). Dans ces intenses deux heures, on assiste au destin tragique du Roi Regis, resté à Insomnia pour signer le traité de paix avec l’Empire de Niflheim. Après qu’Ardyn et Iedolas ne se soient machiavéliquement emparés du cristal, Regis se sacrifiera pour laisser Lunafreya et Nyx s’enfuir avec l’anneau des Lucii. Ce moment précis marque la transition entre les chapitres 1 et 2 de Final Fantasy XV.
Le problème ? Le joueur, lui, ne voit rien de tout cela, et doit se contenter de quelques extraits de film, de textes laconiques affichés pendant certains temps de chargement et de la une d’un journal mal informé annonçant la mort du Roi. Pour « un Final Fantasy pour les fans et les nouveaux venus », la formule semble un peu âpre. À vrai dire, un joueur, adepte ou non de la saga, ne peut pas comprendre le point de départ de l’histoire de Final Fantasy XV sans avoir préalablement visionné le film — qui rappelons-le n'était pas proposé dans toutes les éditions, et reste une œuvre « à part » malgré son importance dans la chronologie du monde d'Éos. Square Enix semble encore avoir du mal à comprendre l'intérêt du transmédia, parfait quand il s'agit de donner des compléments d'informations comme le fait la série Brotherhood mais particulièrement contre-productif quand il ampute le projet principal — ici Final Fantasy XV — des intrigues fondamentales.
Destins tracés en quelques lignes
C'est un sujet qui a fait couler beaucoup d'encre à la sortie du jeu et sur lequel Hajime Tabata promet de travailler à l'occasion de futures mises à jour gratuites : le chapitre 13 de Final Fantasy XV est probablement la plus désagréable et incompréhensible séquence de toute l'aventure. Le fait d'avoir confiné le joueur dans un environnement oppressant et couplé cette ambiance à des mécaniques d'infiltration ratées n'est pas le plus problématique. C'est bel et bien le destin du personnage de Ravus Nox Fleuret, frère de Lunafreya, retrouvé mort avec pour seule explication quelques lettres posées au sol, qui intrigue. Comment un personnage aussi tragique, exemple parfait de la complexité qui caractérise les antagonistes de la série, pouvait-il être expédié aussi maladroitement par les scénaristes ?
Un coup d'œil à Kingsglaive permet une fois encore de faire la lumière sur les évènements. À la toute fin du film, Ravus, qui officie alors comme commandant de Niflheim, enfile l'anneau des Lucii pour tenter, en vain, d'en obtenir tous les pouvoirs. Bien qu'issu de la lignée de l'Oracle, l'anneau ne lui accordera qu'une vive blessure au bras gauche. On devine en le rencontrant pour la première fois lors du chapitre 5 que la technologie Magitek lui a permis de retrouver l'usage de son bras. Ravus continue ainsi à servir l'Empire à contre-cœur, tout en tentant de protéger Lunafreya. Une situation shakespearienne à l'image de ce que souhaitait faire Tetsuya Nomura de son œuvre, qui n'est finalement que partiellement expliquée, et qui aurait à elle-seule mérité tout un chapitre tant elle est passionnante. Les écrits trouvés près du corps de Ravus et des autres soldats Magitek, lors du chapitre 13, permettent de comprendre que sa sœur l'aura finalement convaincu de rejoindre Noctis pour lui confier l'épée du Roi Regis et chasser les ténèbres. Une fois transformé en dæmon puis abattu par Noctis, Prompto, Gladiolus et Ignis, les quatre héros seront eux-mêmes unanimes : « Quelle fin indigne pour un homme devenu Grand Commandant ». N'est-ce pas ?
L'histoire de Ravus n'est pas la seule à avoir subi de terribles coupes franches. Vous souvenez-vous de l'empereur, Iedolas Aldercapt, qui dans Kingsglaive était certainement le personnage le plus respecté — donc le plus important — de l'Empire ? Dans Final Fantasy XV, l'empereur n'apparaît que quelques secondes, à l'occasion d'une cinématique et de quelques extraits de films collés en urgence à l'occasion du patch de lancement. Et pourtant, il vous a poursuivi, et vous l'avez combattu lors du chapitre 13. Le « foras » vaincu dans le hangar n'est autre que la forme dæmoniaque de l'empereur, ce que semble comprendre Ignis au début de l'affrontement (« Serait-ce... ce qui reste de l'empereur ? »). Cette théorie est confirmée une fois le foras vaincu : ses derniers mots seront sous-titrés en son nom propre, Iedolas Aldercapt. Un ressort scénaristique qui, à en juger par les nombreuses conversations sur les forums du monde entier, ne semble pas avoir été saisi par la plupart des joueurs. Comment pouvait-il en être autrement, son sort est scellé dans un satané sous-titre ! Si Square Enix compte vraiment poser quelques rustines sur le déroulement de ce treizième chapitre, le destin du numéro un de l'Empire devra également être clarifié.
Tours de season pass pass
Le manque de cinématiques ou de conversations clés avec les PNJ croisés sur la route est l'un des reproches faits par les joueurs à Final Fantasy XV. C'est vrai, le monde ouvert est fantastique pour les amateurs de randonnées au milieu de paysages fantastiques, mais un peu frustrant pour les aventuriers plus curieux et bavards. On aurait par exemple apprécié que les quêtes annexes ne se contentent pas de faire voyager les héros d'un point A à un point B sans autre but qu'aller protéger une camionnette remplie de flageolets. Pourquoi ne pas avoir donné plus d'explications sur la mythologie d'Éos, la lignée de l'Oracle et des Rois ainsi que le pouvoir du Cristal ? Il faudra finalement se procurer le guide stratégique édité par Piggyback pour découvrir une chronologie officielle du monde de Final Fantasy XV, listant aussi bien les grands moments de l'ancien calendrier que les évènements les plus récents. On aurait aussi voulu parcourir Tenebrae, royaume évoqué tout au long du périple mais finalement jamais exploré.
Une chose est sûre, certains trous béants dans le scénario ont volontairement été incrustés dans le jeu pour préparer le terrain aux futurs contenus téléchargeables déjà annoncés par Hajime Tabata, avant même la sortie du jeu. Je ne vous apprend rien, trois DLC scénaristiques verront le jour, chacun consacré à un camarade de Noctis. Vous vous demandez ce que Square Enix pourra y raconter ? Rappelez-vous, au cours du chapitre 8, Gladiolus vous abandonne un moment et vous retrouve une demi-heure plus tard avec une nouvelle cicatrice au visage. Tout porte à croire que son DLC, qui l'opposera à Gilgamesh selon les dernières déclarations officielles, racontera ce moment précis de l'aventure. Le DLC de Prompto, qui permettra de découvrir une nouvelle zone enneigée et de faire du moto-neige, pourrait bien se focaliser sur ses péripéties en marge du chapitre 11. Comme Noctis ne le retrouve qu'au chapitre 13, on suppose que le blondinet a vécu l'enfer une fois tombé du train. Ignis, quant à lui, perd assez mystérieusement et définitivement la vue lors de la bataille d'Altissia. Un évènement aussi marquant dans la vie d'un héros que l'on a suivi pendant une trentaine d'heures aurait dû être intégré à la trame principale, mais voilà, il faudra sûrement mettre la main à la poche pour en savoir plus.
Une fois la narration de Final Fantasy XV partiellement réparée dans les prochains mois, un autre challenge attend Square Enix : remotiver les joueurs ayant déjà terminé l'aventure à redécouvrir l'histoire complète, pleine de points de suture mais plus représentative de la vision des développeurs. Le mode New Game + ajouté il y a quelques jours devrait être un argument de taille, mais dans le cercle impitoyable des fans de Final Fantasy certaines erreurs sont impardonnables.